Audience du BAPE : des opposantes se font entendre

Trois opposantes ont fait valoir leurs points de vue, mardi soir, à la deuxième et dernière partie de l’audience publique du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) relativement aux projets d’agrandissement des cheptels laitiers des fermes Lansi et Landrynoise de Saint-Albert.

Au total, la commission d’enquête du BAPE, présidée par Joseph Zayed, a reçu huit mémoires.

Mardi soir, lors de l’audience présentée en direct sur le Web, deux femmes ont présenté leurs positions par visioconférence et une autre par la voie téléphonique.

Première à s’exprimer, Camille O’Byrne a notamment fait valoir que ces projets contribuent à l’augmentation du prix des terres, ce qui empêche la relève de s’établir. «Les terres deviennent inaccessibles pour des projets de démarrage et la CPTAQ (Commission de protection du territoire agricole du Québec) autorise difficilement le morcellement des terres pour des entités de taille inférieure prétextant que ce n’est pas suffisant pour une agriculture rentable», a-t-elle indiqué.

De tels projets, a-t-elle noté aussi, empêchent la diversité de la production agricole dans la région.

Dans son mémoire, Camille O’Byrne se dit d’avis aussi que la viabilité de ces entreprises laitières ne devrait pas passer par leur agrandissement, mais plaide pour le maintien et pour une révision du système de gestion de l’offre pour permettre une viabilité de fermes laitières d’une taille qui ne soit pas démesurée afin de favoriser une diversification agricole locale.

L’agrandissement des fermes, observe-t-elle, affecte le tissu social. Les fermes devenant plus efficaces, elles nécessitent moins d’emplois et les villages deviennent des dortoirs.

En conclusion, Mme O’Byrne estime que les projets des deux fermes ont un impact négatif non négligeable sur le prix des terres, sur la capacité de la relève non apparentée à s’établir et à accéder à la propriété. «En dépit des aspects positifs de l’amélioration des opérations et des conditions de vie des propriétaires, ces projets vont à l’encontre des attentes sociétales en matière d’autonomie alimentaire et devraient être refusés», a-t-elle soutenu.

Interpellée par le président Zayed comme quoi ces projets «cadrent avec l’essence générale du PDZA (plan de développement de la zone agricole) de la MRC d’Arthabaska», Camille O’Byrne a réfuté cette prétention. «Le plan veut améliorer l’accès aux terres et la diversité de production, deux éléments sur lesquels les projets ont un impact négatif», a-t-elle répondu.

Questionnée aussi sur l’existence de programmes dédiés à la relève, la jeune femme a été catégorique : il n’y a pas, selon elle, de programme pour aider la relève dans l’achat de terres.

Oui, a-t-elle dit aussi, la MRC joue un rôle d’accompagnement de la relève. «Ce n’est pas une question de se retrouver dans les programmes. Le problème, a-t-elle rappelé, en est un d’accès lié au prix. De plus, elles sont très grandes, ce qui ne correspond pas aux besoins de la relève ni à son budget», a précisé Mme O’Byrne, tout en faisant remarquer que les terres se vendent très rapidement.

Son de cloche de Sainte-Clotilde

«Je m’oppose fermement aux projets», a lancé, d’emblée, Sarah Lamontagne de Sainte-Clotilde-de-Horton.

Sarah Lamontagne fait partie des trois femmes qui ont pris la parole, mardi soir. (Photo capture d’écran)

Disant comprendre les motivations des promoteurs concernant l’amélioration de leur qualité de vie et la pérennité de leurs entreprises, elle affirme toutefois que la volonté politique en lien avec ces projets doit être refusée. «Une volonté qui doit changer non seulement à Saint-Albert et au Centre-du-Québec. Je ne crois pas que les fermes aient besoin de grandir pour améliorer leur qualité de vie», a-t-elle signalé.

Son mémoire, a-t-elle noté, traite de nombreux aspect, des impacts environnementaux au prélèvement d’eau dans la rivière en passant par l’ensablement, les milieux naturels et  humides, la qualité de l’air et des sols et les impacts sur la communauté.

La relève se fait nombreuse sur les bancs d’école, expose-t-elle. Ces gens risquent de se décourager devant trop de défis à surmonter. «De belles initiatives sont freinées. Il y a plein de nouvelles productions qu’on peut faire au Québec. Un changement de vision est nécessaire», a-t-elle confié, tout en proposant des solutions pour augmenter la rentabilité des entreprises : la conversion à l’agriculture biologique, la valeur ajoutée et la diversification.

La Clotildoise d’adoption vit, par ailleurs, personnellement le phénomène de l’accaparement des terres, elle qui doit louer un lot pour cultiver avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête sachant que cela peut lui être enlevé du jour au lendemain. «Je ne suis pas la seule. De plus en plus de projets seront compromis si aucune action n’est prise par le gouvernement pour stopper la tendance. La compétition est grande avec les grosses fermes. Les terres n’ont pas le temps de se retrouver sur le marché et être affichées», a-t-elle exprimé.

Sarah Lamontagne déplore que seuls les grandes entreprises et les groupes d’investissement puissent acquérir les terres. «Je ne crois pas qu’il s’agisse de la meilleure alternative pour l’avenir du Québec. Je préférerais que la relève puisse disposer de leviers pour l’achat de terres», a signifié la jeune femme qui a aussi garni son mémoire, a-t-elle dit, de nouvelles agricoles appuyant sa position quant à «une agriculture plus diversifiée, plus écologique et plus locale».

Elle a profité de son intervention pour inviter les autorités à prendre une «décision courageuse, qui peut sans équivoque choquer sur le coup, mais qui peut rendre un avenir décent possible pour le plus grand nombre d’êtres humains».

À une question hypothétique du président de la Commission à savoir si sa position serait la même en présence de fermes biologiques, Sarah Lamontagne a soutenu que les mêmes enjeux devraient être considérés. «Il est quand même préférable de se diversifier, a-t-elle  souligné. Bio ou non, une monoculture fragilise une entreprise.»

Une ouvrière agricole

La commission d’enquête a pu aussi entendre, au téléphone, Sylvie Berthaud qui a été ouvrière agricole pendant une vingtaine d’années dans différents pays.

Selon elle, les petites fermes ne sont pas nécessairement  moins productives que les entreprises industrielles. «Il y a beaucoup d’éléments à considérer. Ça dépend des facteurs qu’on prend en considération», a-t-elle mentionné.

Les projets des fermes Lansi et Landrynoise la préoccupent particulièrement au chapitre de la quantité d’eau à prélever. «C’est énorme comme besoin. Le problème avec ce genre d’industrie, c’est la démesure», a-t-elle verbalisé, tout en signalant les répercussions que peuvent entraîner les déjections animales.

Sylvie Berthaud se désole du peu d’impact du rapport Pronovost paru en 2008 et issu de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. «Si on l’avait suivi, on n’en serait pas là à si peu de souveraineté alimentaire.»

Elle se réjouit toutefois de l’intérêt de la relève, de la jeunesse, à occuper de petites parcelles afin de diversifier l’agriculture et d’avoir du plaisir. «Faire un travail qui nous gratifie, c’est important, a-t-elle exprimé. Moi, je ne l’ai pas fait pour l’argent ni pour le statut. Ce n’était ni payant, ni reconnu. Mais pour la satisfaction du travail bien fait, en harmonie avec la nature. Ce n’est pas dans les grosses usines à vaches qu’on la retrouvera», a-t-elle conclu, estimant que l’humanité va payer chèrement la démesure et l’ambition sans bornes de certains. «La Terre se révolte et elle n’a pas fini…»

Maintenant terminée l’audience publique, la commission d’enquête du BAPE remettra son rapport au ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques au plus tard le 11 février. Le ministre Benoît Charette, lui, le rendra public dans les deux semaines suivantes.