Les larmes d’un tigre

Tel un tribun romain, Alain «Tiger» Lapointe se présente au lutrin avec sa prestance habituelle. Cette fois-ci, il est coiffé du chapeau de président d’honneur des finales interrégionales et provinciales du Réseau du sport étudiant du Québec dans les Cantons-de-l’Est. Dès ses premières paroles, l’auditoire est subjugué. Tous sont accrochés à ses lèvres. Ce qu’il dit leur paraît être parole d’Évangile.

Son public semblait conquis à l’avance, l’homme de football étant trahi par la réputation de motivateur et d’orateur inspirant qui le précède depuis nombre d’années. Même lors de son passage avec les Vulkins du cégep de Victoriaville, le coordonnateur du programme de football du Vert et Or de l’Université de Sherbrooke a toujours été très émotif. C’est ce qui a caractérisé son règne d’entraîneur, d’ailleurs.

Le personnage fascine, son discours d’un positivisme débordant captive. Il s’adresse surtout aux jeunes footballeurs qui se retrouvent dans la salle. Ceux-ci se préparent à disputer la finale de leur circuit respectif sur la surface synthétique victoriavilloise. Alain Lapointe leur parle de l’importance de savourer le moment, peu importe l’issue du match.

Au cœur de son envolée oratoire, l’homme de 56 ans, Warwickois d’origine, devient émotif. Les yeux rougis, au bord des larmes, trémolos dans la voix, il conjure les jeunes athlètes de mordre avec passion dans la vie et savourer l’expérience que leur apporte l’école de la vie du football.

«Si on ne jouait pas pour gagner, on ne regarderait pas le pointage, mais la victoire, ce n’est pas tout. Elle est éphémère, vous verrez, tout comme la défaite… Ce qui reste à jamais, cependant, ce sont les liens qu’on tisse avec les autres. Avant de sauter sur le terrain lors de votre finale, prenez un moment pour regarder autour de vous. Vous y verrez des coéquipiers. Plusieurs d’entre eux seront vos chums pour le restant de vos jours. C’est ça qui compte avant tout. Vous faites aujourd’hui l’album de photos de votre vie. Ça restera à jamais», lance-t-il avec émotion.

Celui que l’on surnomme Tiger, figure marquante du monde du football dans la région pendant plus de deux décennies, est aujourd’hui habité par une intense nostalgie. Il n’a pu retenir ses larmes lorsqu’il s’est adressé aux jeunes, voyant le film des plus beaux moments de sa vie passer sous ses yeux. Il se souvient de ses débuts avec les Vicas en 1977. Habitant Warwick, il devait faire de l’auto-stop pour vivre sa passion. «Je faisais du pouce matin et soir pour aller jouer au football. On était passionné et prêt à tout pour jouer. Ça me rappelle de très bons souvenirs. Ça me confirme aussi qu’il ne faut pas hésiter à tout donner pour réaliser nos rêves. Je suis passé de joueur à entraîneur, puis à gestionnaire d’un programme universitaire de football. Tout ça a commencé ici. J’en suis très fier», partage-t-il au www.lanouvelle.net.

Le Tigre a pris de l’âge depuis le temps. Il a gagné en sagesse. Il s’estime chanceux de jouir d’une belle qualité de vie encore aujourd’hui. «Vieillir, c’est un privilège. Avant la conférence de presse, je regardais les vieilles photos d’équipe des Vicas. Du groupe, il y a quatre de mes chums qui sont morts, dont trois récemment. Quand tu es dans le vestiaire, comme ado, c’est impossible de réaliser tout cela. La maladie, le cancer, les accidents font en sorte que 30 ans plus tard, il manque du monde sur la photo. C’est quelque chose. Ça frappe droit au cœur. On comprend que c’est un privilège de vieillir. Quand je vois des gens qui ne font pas attention à leur santé, ça m’horripile», poursuit-il, au bord des larmes.

Alain Lapointe sait très bien que bien des jeunes n’auront pas saisi l’entièreté de son message. Il est cependant convaincu qu’ils finiront par comprendre, tôt ou tard. «Ça m’a pris des années avant de comprendre certains enseignements d’Yvon Paré», enchaîne-t-il.

Le président d’honneur est aujourd’hui à l’emploi de l’Université de Sherbrooke. Il est cependant encore très attaché à la région. Il n’a pas manqué de visiter sa mère avant de se rendre à l’école secondaire Le boisé pour la conférence de presse. Il doit célébrer l’anniversaire de sa sœur dans la région très bientôt également. L’ex-entraîneur suit aussi avec intérêt les Vulkins, évoluant désormais au sein de la troisième division du réseau collégial québécois. L’équipe a été éprouvée par de nombreuses difficultés sur le terrain au cours des dernières années.

«Ça me fait toujours mal de voir ça. J’ai plusieurs amis dans l’organisation qui travaillent très fort pour que ça fonctionne. Ce n’est pas d’hier que des gens travaillent d’arrache-pied. Je suis très redevable aux Yvon Paré et Michel Gervais, notamment, qui m’ont formé et m’ont permis de mettre l’épaule à la roue. Tout ce que j’ai toujours souhaité, c’est que ça marche chez les Vulkins. Je ne ferai jamais l’erreur de jouer à la belle-mère en comparant mon époque à celle d’aujourd’hui, mais je suis confiant pour l’avenir. Il y a un virage qui a été entrepris. Les performances de l’équipe semblent plus respectables cette saison par rapport aux aspirations des Vulkins. J’en suis bien heureux», a-t-il commenté.

À cet égard, il rappelle que ses débuts avec le Vert et Or il y a quelques années n’ont pas été faciles. Il se souvient d’un revers de 100 à 0 contre le Rouge et Or de l’Université Laval lors de la première saison de l’histoire de l’équipe. La rencontre, comble de malheur, était diffusée en direct au petit écran. «J’ai été vacciné d’humilité pour le restant de ma vie. Seulement 24 mois plus tard, cependant, on a figuré dans le palmarès des 10 meilleures équipes au pays. Ça ne s’est pas fait instantanément, mais on a prouvé que c’est possible de remonter la pente. Tu prends ton bâton de pèlerin et tu convaincs ton monde un à un. Tu propages ton Évangile. Ça finit par payer», a-t-il conclu.