Antoine Bibeau bien outillé pour faire face à la musique

Le Victoriavillois Antoine Bibeau cogne à la porte de la Ligue nationale de hockey. À 23 ans, il se sent mûr pour stopper les tirs foudroyants des Ovechkin ou Crosby de ce monde et pour faire face aux feintes à l’emporte-pièce des Tarasenko ou Drouin. Encore faut-il qu’il en obtienne la chance et, surtout, qu’il la saisisse.

Agent libre avec restriction, le membre de l’organisation des Maple Leafs de Toronto espère obtenir cette occasion lors du prochain camp d’entraînement. À moins d’un revirement, le poste de gardien auxiliaire sera disponible dans la Ville Reine. «Et je vais tout faire pour l’obtenir si j’en ai la chance», lance-t-il sans ambages.

Bibeau vient de connaître la saison professionnelle la plus difficile de sa jeune carrière. Il a été laissé de côté durant la presque totalité des deux derniers mois de la saison, conséquence d’une sortie désastreuse après la pause des fêtes.

Malgré les embûches, le grand homme masqué de 6’03 » garde le moral. L’incertitude causée par sa situation contractuelle le préoccupe quelque peu, admet-il, mais il n’en demeure pas moins confiant de revenir en force.

La résilience qui l’habite a été forgée dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le récipiendaire du prestigieux trophée Guy-Lafleur, remis au joueur le plus utile des séries au sein du circuit Courteau, a eu la vie dure durant son stage junior. La plupart des amateurs conservent de lui le souvenir du gardien intraitable qui a permis aux Foreurs de Val-d’Or de remporter la coupe du Président. Or, avant d’atteindre le sommet, il a été confronté à de nombreux obstacles. «Mais même si je le pouvais, je ne changerais rien. Tout ce qui m’est arrivé m’a aidé à devenir qui je suis. Ça me permet aujourd’hui de faire face aux épreuves que je rencontre», souligne-t-il.

Bibeau n’avait pas mis une lame sur une glace du circuit Courteau qu’il vivait sa première embûche. C’était le 5 juin 2010 au Centre Marcel-Dionne de Drummondville. Il avait enfilé son plus beau complet, se préparant à vivre l’une des plus belles journées de sa vie. Répertorié en deuxième ronde par le Centre de soutien au recrutement du circuit Courteau, il était habité par une agréable fébrilité aux côtés de ses parents. Or, cette journée de rêve s’est transformée en grande désillusion, n’entendant son nom qu’en cinquième ronde.

«En troisième ronde, quelqu’un est venu me prendre en photo peu avant la sélection des Tigres. Je croyais que ça y était. Ils ont finalement choisi Brandon Whitney… Puis, les rondes se sont succédé et je n’étais pas réclamé. J’étais tellement frustré. J’en ai même arrêté d’écouter le repêchage. Quand j’ai finalement entendu mon nom, je ne savais même pas c’était avec quelle équipe», a-t-il rappelé.

Bibeau s’est présenté en larmes à la table des MAINEiacs de Lewiston. «Ce n’était pas des larmes de tristesse, mais de colère. Le directeur général Roger Shannon m’a demandé pourquoi je pleurais. Il a dû me montrer la liste de l’équipe pour me prouver à quel point j’étais bien répertorié par leurs recruteurs», a-t-il dit.

Cette expérience démontre aux jeunes hockeyeurs qui ont quitté Saint John déçus il y a quelques semaines que les assises annuelles de la LHJMQ ne sont qu’artifice, selon Bibeau. «Ça ne veut rien dire, le rang de sélection», a-t-il souligné.

Heureux d’appartenir aux MAINEiacs de Lewiston, Bibeau n’était pas au bout de ses peines. Dès l’été suivant, lors du repêchage tenu à Victoriaville, on annonce la dissolution de l’équipe. «Tous les joueurs étaient très déçus. On avait tellement une belle gang. On aspirait à la coupe la saison suivante», rappelle le gardien.

Celui-ci a été réclamé par les Olympiques de Gatineau au 13e rang au total. Cet épisode en Outaouais a été de courte durée. Dès le camp d’entraînement, il a été échangé au Rocket de l’Île-du-Prince-Édouard. «J’ai connu une première sortie très difficile lors du camp. Benoît Groulx m’a convoqué devant les recruteurs pour me questionner. Je disais tout à l’heure que je ne changerais rien à mon parcours… Finalement, cet épisode avec les Olympiques, je m’en serais bien passé!», raconte le Victoriavillois en rigolant.

Groulx a retiré ses gants blancs et a passé à tabac le gardien de but durant cette rencontre. Quelques jours plus tard, il échangeait le jeune cerbère au Rocket pour une bouchée de pain. «J’étais sous le choc. Quand j’ai parlé à Serge Savard (le directeur général du Rocket), je lui ai dit que j’avais des ennuis avec ma voiture et que je ne pouvais pas me rendre à Charlottetown immédiatement. Je voulais surtout m’accorder du temps pour réfléchir. J’étais loin d’être convaincu que je me rapporterais au Rocket», a-t-il partagé.

Bibeau a finalement pris la direction du royaume insulaire de la pomme de terre, la meilleure décision qu’il a prise dans sa vie puisqu’il y a trouvé son havre de paix et… l’amour. Telle une agence de rencontres, le circuit Courteau lui a permis de faire la connaissance de sa conjointe actuelle. L’idylle se poursuit toujours avec Erin et l’Île-du-Prince-Édouard, qu’il a adoptée. «J’y passe tous mes étés. Être sorti de ma région est finalement la meilleure chose qui m’est arrivée», lance-t-il.

Même avec le Rocket, toutefois, tout n’a pas été rose. Il a même songé à joindre les rangs du Titan de Princeville, au niveau junior AAA, à 17 ans. «L’ambiance n’était vraiment pas bonne. On perdait tout le temps. Je voyais peu d’action», a-t-il raconté. Il est finalement demeuré avec l’équipe. Dès la saison suivante, il a commencé son ascension pour devenir, à 19 ans, l’un des meilleurs portiers du circuit. Les Foreurs ont alors payé le fort prix pour l’obtenir. Il a ainsi pu soulever la coupe du Président, s’offrant en spectacle soir après soir durant les séries. «J’ai quitté Charlottetown en larmes, mais j’étais aussi content d’avoir la chance de gagner. Mon niveau de confiance était incroyable avec les Foreurs. Je sentais que je pouvais tout stopper», s’est-il rappelé.

Cette performance lui a permis d’obtenir son premier contrat professionnel avec les Leafs. Ceux-ci l’avaient réclamé en sixième ronde l’année précédente. Il a donc amorcé sa carrière professionnelle à 20 ans. Trois ans plus tard, il doit toujours se battre pour son poste. Son parcours, jusqu’ici, a été ponctué de hauts et de bas. Comme dans la LHJMQ, il apprend à la dure dans la Ligue américaine de hockey. L’expérience acquise dans les rangs juniors lui permet cependant d’affronter tous les obstacles, croit-il.

Il a goûté à la Ligue nationale la saison dernière, disputant deux matchs. Il a passé à un cheveu d’affronter le Canadien de Montréal au Centre Bell. Il a finalement été rétrogradé durant les fêtes, faisant alors une croix sur le congé dont bénéficient les joueurs à cette période de l’année. «La saison a été longue. Elle a été difficile. J’ai tout de même beaucoup appris. Cette expérience va certainement me servir. Ma carrière ne se résume pas à ses deux mauvais mois…», a-t-il enchaîné.

Il s’entraînera tout l’été à Charlottetown pour rebondir. Fidèle à son habitude, il suivra un régime strict pour arriver au camp d’entraînement des Leafs, espère-t-il, au sommet de sa forme, sans une once de gras en trop.

Il sait que les embûches seront encore nombreuses. Il se sent cependant mieux outillé pour y faire face. «C’est important d’être capable de bien gérer ces situations, surtout pour un gardien de but. Au-delà de nos performances, c’est souvent une question de <@Ri>timing<@$p> à notre position. Les frustrations peuvent être nombreuses», a-t-il souligné.

Tout récemment, Bibeau a ajouté un outil à son coffre. Nommé président d’honneur de la coupe Guillaume-Fleurent-Beauchemin, ça lui a permis de rencontrer Justin, atteint de paralysie cérébrale. Celui-ci recevra bientôt un bras Jaco de la fondation Le pont vers l’autonomie. Cette rencontre a changé la perception du gardien de but victoriavillois. «J’étais nerveux de rencontrer Justin. Je ne savais pas comment ça se passerait. Ça a finalement été un moment tellement agréable. On a ri, on s’est bien amusé. Ça m’a aussi permis de constater la chance que j’ai. Je vis du hockey, un rêve d’enfance pour moi. Je suis en santé. Je suis choyé», a-t-il partagé.

Il a constaté que ce qui est un drame dans la bulle du hockey n’est en fait qu’un futile problème en perspective de ce qu’affronte Justin tous les jours. «C’est maintenant difficile de se plaindre», a-t-il conclu.