Coït interrompu à Ottawa

Dur d’ignorer ce qui se passe avec le fameux convoi de la liberté qui siège à

Ottawa. Cette foule, qui canalise une colère et qui se veut être la voix de tous ceux et celles qui en ont soupé dans les deux dernières années. Cette file de mastodontes est devenue le symbole de la résistance, le porte-étendard d’une grogne latente, des chevaliers modernes face à la corruption et la malversation. Ces valeureux guerriers des autoroutes, qui ne comptent pas leur « millage », se dirigeraient maintenant vers Québec afin de faire trembler l’Assemblée devant la magnificence de leurs 18 roues. D’où part cet enthousiasme? Ce mouvement a pris naissance en Colombie-Britannique il y a plus ou moins deux semaines avec l’organisation d’un convoi pour de meilleures conditions de route dans la région montagneuse de la province et réclamait de meilleures conditions de travail pour les camionneurs. 

Dès le lendemain, un groupe se lance aussi dans le convoi, mais avec un tout autre objectif : mettre fin aux mesures sanitaires. Avec une population à bout de patience et des gouvernements aux décisions plus ou moins cohérentes, il n’en fallait pas plus pour que le mouvement gagne en popularité. Des appuis arrivent de partout, un financement monstre se met en branle, des groupes de gens tantôt excités à vue de leurs nouveaux héros, tantôt en colère contre médias, gouvernements ou simplement contre le système en général se rassemblent le long des routes pour célébrer ce pèlerinage vers la Capitale-Nationale.

Malheureusement, à part répandre la douce odeur du diesel dans toute la ville d’Ottawa, qu’est-ce qui reste de tout cela? Un coït interrompu. Beaucoup se sont excité de voir le Parlement reculer, certains ont fantasmé à l’idée de voir l’entièreté du Canada marcher sur la Colline Parlementaire avec eux et d’autres, plus marginaux certes, jubilaient en pensant à un « 6 janvier canadien ». Mais après les préliminaires fort intenses de la fin de semaine dernière, il reste quoi à Ottawa? Un noyau de résistants qui ne démord pas en quête de nourriture, de toilettes et de diesel. Si c’est ça votre révolution, svp, laissez-moi dans la  » dictature » canadienne. C’est le même premier ministre que vendredi matin et aucun changement dans les règles sanitaires. Il en résulte surtout des Ottaviens à bout de nerfs d’entendre les flûtes de la liberté hurler à tout rompre depuis quatre jours.

La solution? Converger vers Québec pour un deuxième round, où les quelques

revendications qui pourraient être légitimes seront noyées dans un déluge de drapeaux américains et de « F**k Legault » dans une manif qui aura plus l’air d’un rodéo mécanique sur la brosse. Vont-ils déguiser les statuts et danser sur les monuments comme à Ottawa? Me semble que René Lévesque avec une casquette « Make Canada great again » serait une bonne idée, non? Ou je sais, entrer en gang dans un restaurant sans masque et insulter le personnel? Non, mieux, aller dire au commis de dépanneur de 16 ans à quel point il est mouton. Exprimons notre liberté!

Je sais que ce ne sont pas les camionneurs qui agissent ainsi, mais votre groupe est gangréné par ce type d’individus. Ce sont les plus bruyants, les plus visibles, les plus agressifs et ils se servent de votre camion pour se faire voir et entendre. Et pour information, cela ne vient pas des bulletins de nouvelles ou de journaux, mais de témoignages de résidents et des nombreux lives Facebook faits par les manifestants d’Ottawa eux-mêmes. Parce qu’il paraît que le live Facebook est maintenant l’arme de la libération.

Et comme pour le convoi original, les organisateurs de celui de Québec ne sont pas des camionneurs et ne sont même pas issus du monde du camionnage. Ces mêmes organisateurs demandent de l’argent pour les aider à on ne sait trop quoi et se réclament de la voix du peuple. Quelqu’un peut d’ailleurs me dire à quel moment sont-ils devenus ma voix svp? Donc, doit-on en comprendre que les camionneurs ont été manipulés afin que certains puissent s’enrichir sur leur dos et passer leur propre message politique? Non, pas possible! Le Maverick Party (organisation séparatiste de l’Ouest derrière le Freedom convoy), Maxime Bernier, les farfadaas, la Fondation des droits et libertés du peuple

(Stéphane Blais), Éric Duhaime, ils ont fait quoi ou dit quoi sur l’industrie du camionnage depuis deux ans? Rien. Ils disent quoi sur les conditions de travail que certaines compagnies imposent à leurs chauffeurs? Rien. Ils disent quoi sur l’état misérable de nos routes empruntées par les poids lourds? Rien. Et là, soudainement, les voici tous à se bousculer pour prendre la parole et s’approprier le convoi à des fins personnelles. 

Votre convoi est devenu leur convoi. Que les camionneurs réclament des changements et qu’ils manifestent avec leur outil de travail est une chose louable et saine dans une démocratie. Ils ne sont pas les premiers et certainement pas les derniers. Vous trouvez les règles sanitaires trop restrictives et vous voulez vous exprimer, go! Mais actuellement, nous n’assistons pas à une révolution. Encore moins à un peuple en marche comme voudrait vous faire croire certains. Descendez de votre nuage et réalisez que vous êtes actuellement manipulés. Non pas par les médias ou le gouvernement, mais par des groupes qui poussent leur agenda personnel et qui vous utilisent comme porte-voix. Patrick King, organisateur en chef du Freedom convoy 2022, dort tranquillement à l’hôtel à Ottawa pendant que vous vous gelez le c** devant le Parlement. 

Tamara Lich, organisatrice du Go Fund Me qui frôle maintenant les 10 millions, semble injoignable par personne. Connaissez-vous la procédure pour vous faire rembourser vos dépenses par les organisateurs? À date, la meilleure réponse que j’ai entendue est « garde tes factures, on verra ». Et aux gens qui les suivent et versent des dons, dites-vous que ce ne sont pas les camionneurs qui vous parlent, mais ces opportunistes du dimanche qui vous laisseront tomber dès que le citron aura été pressé au maximum et qu’il n’y aille plus de jus à en tirer.

Toutes les grandes associations de camionnage se dissocient du mouvement, aucun syndicat n’a embarqué, la chaîne d’approvisionnement était déjà sur le bord de la crise avant la pandémie. Vous êtes tanné, je suis tanné. Certains vivent très difficilement cette crise qui perdure et qui trouve que la lumière au bout du tunnel est pas mal loin.

Mais ne tombez pas dans le piège des promesses faciles et demandez-vous qui a intérêt à faire rouler ce convoi le plus longtemps possible. Follow the money comme disent les Anglais. D’ailleurs, dernière question, à part mettre fin à toutes les mesures, quelles sont les propositions et les solutions apportées? Rien.

Mathieu Tremblay

Victoriaville