Trudeau n’exclut rien concernant le projet de loi sur la souveraineté de l’Alberta

OTTAWA — Justin Trudeau affirme que rien n’est exclu à Ottawa lorsqu’il s’agit de répondre au projet de loi en Alberta qui donnerait des «pouvoirs exceptionnels» au gouvernement de la première ministre Danielle Smith.

Le premier ministre Trudeau s’est brièvement arrêté mercredi matin en se rendant à une réunion du caucus libéral, à Ottawa, pour dire qu’il ne cherchait pas «la chicane» avec la province, tout en ajoutant que cette nouvelle loi faisait sourciller même en Alberta.

Le projet de loi «sur la souveraineté de l’Alberta au sein d’un Canada uni» propose de donner au cabinet de Mme Smith le pouvoir de réécrire les lois provinciales sans débat à l’Assemblée législative, dans le but de repousser les «excès d’Ottawa».

Le projet de loi permettrait également au cabinet d’ordonner à toutes les entités provinciales de ne pas utiliser de ressources provinciales pour faire respecter des règles fédérales jugées «préjudiciables aux intérêts de l’Alberta». 

Le projet de loi prévoit au fond que le gouvernement albertain respectera les décisions des tribunaux et la Constitution canadienne, mais que ce sera dorénavant à Ottawa de poursuivre la province en cas de litiges, plutôt que l’inverse.

Mme Smith avait promis de déposer ce projet de loi lors de la course à la direction du Parti conservateur uni, déclenchée pour remplacer le premier ministre démissionnaire, Jason Kenney. En déposant le projet de loi, mardi, elle l’a qualifié de moyen de protéger les Albertains contre les «excès» du gouvernement central à Ottawa, «qui coûtent à l’économie albertaine des milliards de dollars chaque année».

M. Trudeau a indiqué mercredi qu’il examinera de plus près ce projet de loi, mais il soutient déjà que beaucoup d’Albertains sont préoccupés par le fait que le gouvernement de l’Alberta choisisse d’outrepasser le pouvoir législatif, «de dévaloriser le travail des parlementaires».

Il a précisé qu’il surveillera «attentivement» l’évolution du dossier et ses implications, mais il n’a pas voulu déjà annoncer qu’Ottawa contestera cette loi devant les tribunaux. 

«On va regarder tout d’abord ce que les Albertains vont dire et vont faire eux-mêmes, a indiqué M. Trudeau. Idéalement, ça va être les Albertains eux-mêmes qui vont se préoccuper avec les nouveaux pouvoirs exceptionnels que la première ministre s’est donnés, qui vont souligner qu’ils sont inquiets.

«Nous, on va regarder attentivement ce qui se passe, mais on va rester ancré dans notre désir de travailler de façon collaborative avec tous les gouvernements.»

De vieilles frustrations 

La frustration envers le gouvernement fédéral au sujet des paiements de péréquation et l’exploitation des énergies fossiles ne date pas d’hier en Alberta. Cette colère fait partie de ce que Mme Smith espère exploiter avec le nouveau projet de loi.

Mais les critiques disent que ce que le projet de loi vise surtout, c’est de consolider le pouvoir autour du cabinet de Mme Smith.

Jason Kenney, qui s’est mêlé de la course à la direction pour le remplacer, a qualifié la proposition de souveraineté de «catastrophiquement stupide». Il a démissionné mardi de ses fonctions de député tout de suite après le dépôt du projet de loi à l’Assemblée législative.

Le député libéral fédéral montréalais Anthony Housefather affirme que le projet de loi de Mme Smith va trop loin. «Je ne pense pas qu’il soit approprié pour une province de déterminer si une loi fédérale excède ou non sa constitutionnalité. C’est à un tribunal de le faire, a-t-il déclaré mercredi aux journalistes. Si l’Alberta finit par adopter ce projet de loi, nous devrons voir comment ils l’utilisent.»

Certains ont comparé le geste de Mme Smith pour l’Alberta à l’«autonomie» du Québec dans certains secteurs, qui administre son propre régime de retraite et ses propres programmes d’immigration. Dans l’esprit de nombreux Albertains, le Québec aurait obtenu plus de pouvoirs d’Ottawa lorsqu’il a voulu suivre sa propre voie.

Le député Housefather croit qu’on devrait utiliser cette analogie avec prudence, soulignant que de nombreux sièges sociaux et citoyens avaient quitté Montréal pour Toronto lorsque la véritable souveraineté du Québec était d’actualité.

«Les entreprises veulent la stabilité, je pense que les gens veulent la stabilité, et je ne pense pas que la loi sur la souveraineté, même si elle s’appelle ‘loi sur la souveraineté dans un Canada uni’, offre la stabilité.»

Mme Smith a rappelé que son projet de loi ne visait pas à se séparer du Canada. Par contre, elle a publié mercredi une vidéo sur Twitter dans laquelle elle décrit son intention de ne pas appliquer en Alberta les lois libérales qui «attaquent» l’économie de la province et les droits individuels en vertu de la Charte canadienne.

Selon M. Housefather, la question fondamentale que soulève le projet de loi est de savoir «comment les Canadiens voient leur pays». Voient-ils un rôle pour un gouvernement fédéral au-delà de leur province ou territoire?

«Je suis convaincu, en tant que Canadien, que tout le monde devrait nager dans son couloir, et cela signifie que les législatures ne déterminent pas si quelque chose d’un autre ordre de gouvernement est constitutionnel ou pas», a-t-il déclaré.

Mme Smith a dit espérer que le projet de loi n’aurait pas à être utilisé, mais les documents d’information fournis aux journalistes montrent que son gouvernement est prêt à le faire dès le printemps prochain, pour traiter de questions allant des soins de santé aux droits de propriété.

Les conservateurs à Ottawa sont restés largement silencieux sur cette question mercredi; deux députés albertains ont affirmé qu’ils devaient d’abord lire le projet de loi.

Garnett Genuis, un autre député fédéral albertain, a estimé que la meilleure façon d’apaiser les frustrations de ses concitoyens envers Ottawa est de remplacer Justin Trudeau.

M. Genuis était plus loquace lors de la course à la direction, au cours de laquelle il soutenait Travis Toews, qui est maintenant ministre dans le cabinet de Mme Smith. Dans un article d’opinion publié en août dernier, il qualifiait l’éventuel projet de loi sur la souveraineté de «gadget facile» qui viole la Constitution canadienne et l’État de droit.

«S’il était aussi facile d’affirmer l’autorité provinciale que d’adopter une telle loi, ça aurait déjà été fait», écrivait M. Genuis.