Ordres professionnels: la consultation laisse entrevoir une transformation radicale

MONTRÉAL — Québec envisage de donner à l’Office des professions d’importants pouvoirs de sanction des ordres professionnels dans le cadre de sa démarche de modernisation du système professionnel dont l’objectif ultime est de redonner confiance à la population.

Le document de consultation envoyé aux présidents des 46 ordres professionnels du Québec, dont La Presse Canadienne a obtenu copie, risque de soulever de multiples objections, tant par les propositions qu’il contient que par le ton général qu’il emploie.

Interrogée à ce sujet à l’Assemblée nationale, mardi, la présidente du Conseil du trésor et responsable de l’application du Code des professions, Sonia LeBel, s’est montrée ferme quant à ses intentions en la matière: «Le rôle de l’Office, c’est de maintenir la confiance du public dans le système professionnel. Le rôle de chacun des ordres, c’est de s’assurer de la protection du public dans leur domaine particulier.»

«Ça fait partie des réflexions de voir comment on peut repositionner correctement le rôle de l’Office comme chien garde de la confiance», a-t-elle ajouté.

La notion de membre remise en question

D’entrée de jeu, le questionnaire insiste sur la «confiance fragilisée» du public envers le système professionnel, ajoutant que «certaines personnes estiment encore que le système protège davantage les intérêts des professionnels que le public».

Toutes les questions de la première section visent à identifier «les causes du manque de confiance», les actions prioritaires «pour renforcer et rétablir» cette confiance et les moyens à prendre pour que la notion de protection du public soit à l’avant-plan de l’activité des ordres professionnels et de la perception qu’en a la population. 

On va même jusqu’à demander si le terme «membre» est toujours adéquat pour désigner les professionnels réglementés, soulignant que ce terme «peut avoir une connotation associative et donner l’idée (…) que les ordres favorisent la protection de leur champ d’exercice et activités réservées ainsi que les intérêts des professionnels plutôt que ceux du public».

Pouvoir de désaveu

La troisième section du questionnaire, qui porte sur les pouvoirs de l’Office, risque d’en hérisser quelques-uns. On y demande aux dirigeants de se prononcer, par exemple, sur la mise en œuvre de mécanismes par lesquels l’Office pourrait émettre des directives contraignantes sur les règlements internes, désavouer un ordre professionnel et lui imposer des modifications en cas de non-conformité.

Il propose également la tenue d’audits ou d’inspections périodiques des ordres, entre autres.

En contrepartie, le document suggère également une série d’allègements administratifs qui donneraient davantage de latitude aux ordres professionnels, notamment en ce qui a trait à leurs codes de déontologie et leurs règlements internes, bien qu’accompagné dans ce dernier cas d’un pouvoir d’examen de l’Office.

Regroupements: une question délicate

Bien que les questions de structures puissent sembler d’importance secondaire à la population, une des questions de la quatrième et dernière section du questionnaire se heurtera certainement à des objections, soit celle qui se lit comme suit: «Considérez-vous que le regroupement de plusieurs professions au sein d’un même ordre professionnel devrait être envisagé dans le cadre du chantier de modernisation du système professionnel québécois?». 

La question n’est pas anodine car les membres de chaque ordre professionnel sont les seuls qui sont légalement autorisés à poser ce que l’on appelle des «actes réservés». Pour comprendre la portée de cette question, il faut se rapporter aux propos de la ministre LeBel qui, dans le communiqué annonçant la consultation le 6 septembre dernier, envisageait «dans une perspective d’agilité, pour réussir à déployer le Plan Santé, permettre, par exemple, à certains professionnels d’offrir davantage de services à la population». 

Dans le domaine de la santé, on peut penser que de regrouper dans un même ordre professionnel différents types de technologues ou d’amalgamer infirmières et infirmières auxiliaires pourrait permettre d’atteindre cet objectif, mais les limites des rôles et actes réservés de chacun risquent d’être difficiles à déterminer.

L’idée ne rencontrera pas que des objections, cependant. Par exemple, depuis plusieurs mois maintenant, l’Association des microbiologistes du Québec et l’Association des biologistes du Québec, dont les membres ne font pas partie du système professionnel, font un lobbying intense afin d’être intégrés à l’Ordre des chimistes, qui s’est dit ouvert à l’idée.

Rien sur la reconnaissance des diplômes étrangers

Enfin, un élément qui est complètement absent du document de consultation est la question de la reconnaissance des diplômes et des expertises acquis à l’étranger. Depuis plusieurs années, tous les gouvernements qui se sont succédé, qu’ils soient libéraux, péquistes ou caquistes, n’ont pas caché leur irritation devant les multiples obstacles professionnels et financiers érigés par les ordres professionnels devant les ressortissants étrangers qui souhaitent pratiquer leur profession au Québec.

Le bureau de Mme LeBel a précisé à La Presse Canadienne que «la notion de permis restrictif d’exercice fait partie de la feuille de route de l’Office des professions et sera étudiée en priorité dans notre chantier» et que ceci a été annoncé aux ordres professionnels en mai dernier. Il est donc étonnant que les ordres, qui sont responsables de ces permis restrictifs et de la reconnaissance des acquis à l’étranger, n’aient pas été consultés à ce sujet.

L’absence de toute question ouvrant la porte à une intégration plus souple de professionnels étrangers laisse ainsi croire que le gouvernement Legault n’a pas l’intention d’intervenir auprès des ordres professionnels dans ce processus et la réponse ci-dessus semble d’ailleurs indiquer que c’est l’Office qui prendra ce dossier en charge.

Les questionnaires doivent être remis d’ici jeudi, le 5 octobre. Des consultations seront ensuite tenues en personne, en novembre prochain, et seront présidées par la député Simon Allaire, adjoint parlementaire de la ministre LeBel, Dominique Derome, présidente de l’Office des professions, et Danielle Boué, présidente du Conseil interprofessionnel du Québec. Le communiqué du 6 septembre ajoutait que «la population sera également sondée dans le cadre de la démarche».