«L’Ordre doit se mettre au travail et corriger les failles de son examen»

MONTRÉAL — Contrairement à ce que clame l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) depuis le début du fiasco entourant les taux d’échec massifs, ce n’est pas la pandémie qui est en cause, mais la validité de son propre examen, conclut le commissaire à l’admission aux professions dans un nouveau rapport déposé mardi.

En plus de réfuter l’argument principal de l’ordre, Me André Gariépy somme l’institution de «se mettre au travail» pour «corriger les failles de son examen». Il remet aussi sérieusement en doute la pertinence de recourir à l’examen américain comme le souhaite l’OIIQ.

Dans le troisième rapport d’étape de son enquête sur les circonstances ayant entraîné un taux d’échec anormalement élevé à l’examen de septembre 2022, puis de mars 2023, le commissaire Me André Gariépy réitère que l’explication se trouve dans «les failles et fragilités de l’examen», incluant «sa validité, sa fiabilité et l’établissement de sa note de passage».

Après s’être penché sérieusement sur l’argument de l’OIIQ selon lequel la pandémie aurait privé les candidates à l’exercice de la profession (CEPI) de précieuses heures de formation en laboratoire et d’un accompagnement adéquat en stage, Me Gariépy conclut qu’il s’agit là d’«impressions» découlant d’une «logique apparente et intuitive».

En s’appuyant sur des sondages et des entretiens menés auprès des CEPI et des établissements d’enseignement, ainsi que sur une revue de littérature scientifique portant sur les impacts de la pandémie sur la formation des professionnels en santé dans le monde, Me Gariépy affirme qu’il ne s’agit pas d’«une explication généralisable, suffisante et concluante».

Plus précisément, le commissaire reproche à nouveau à l’ordre d’avoir lui-même créé «une aberration statistique» en modifiant la note de passage après l’observation des résultats de l’examen de septembre 2022. Cette manipulation de la note de passage aurait fait basculer en situation d’échec quelque 500 candidates. 

«Au contraire de ce qu’a fait l’Ordre, on ne peut intervenir dans l’établissement de la note de passage d’un examen à enjeux élevés, affectant des milliers de personnes, sur la base d’impressions ou de convictions tirées d’observations non validées», assène le commissaire.

L’ordre avait jugé prudent d’appliquer un facteur d’«erreur de mesure» parce qu’il doutait de la validité des résultats. Un «ajout injustifié» aux yeux du commissaire.

Ce dernier déplore aussi le manque d’ardeur de l’ordre pour améliorer son examen actuel alors que, plus de six mois après le dépôt de ses premiers constats, des documents fondamentaux essentiels au bon fonctionnement d’un examen «demeurent absents, incomplets ou désuets, sans réel engagement de corriger la situation».

NCLEX-RN: «un faux dilemme»

Fait inusité, le commissaire à l’admission aux professions profite de la publication de ce nouveau rapport d’étape pour sortir de sa réserve habituelle et répliquer à l’OIIQ. Me André Gariépy n’a visiblement pas apprécié la manière dont l’ordre a appliqué ses précédentes recommandations de manière «sélective ou erronée».

Du même coup, il s’en prend à la solution avancée par l’ordre de saborder son examen pour adopter l’examen national américain comme l’ont fait d’autres provinces canadiennes. De l’avis de Me Gariépy, il ne s’agit pas d’une solution valable à court terme et il qualifie d’«irréaliste» l’échéancier évoqué d’un déploiement en 2024.

Par ailleurs, il révèle dans son rapport que l’OIIQ avait déjà pris la décision d’entreprendre des démarches en vue de s’approprier le NCLEX-RN avant même l’examen catastrophique de septembre 2022. La décision aurait été prise dès août 2022 et entérinée par le conseil d’administration en septembre, alors que les résultats n’ont été connus qu’en novembre.

Le commissaire accuse l’ordre de chercher «à placer les autorités publiques devant un faux dilemme» en négligeant son propre examen afin de «faire aboutir une autorisation précipitée et sans justification suffisante» de l’outil américain connu sous l’acronyme NCLEX-RN.

Comme le rapportait La Presse Canadienne le mois dernier, l’Office des professions serait très réticent à l’idée d’utiliser un outil étranger pour évaluer la compétence des futures infirmières québécoises. Le rapport déposé mardi semble renforcer cette position. 

Parmi les obstacles majeurs identifiés par le commissaire, il cite le niveau minimal de formation qui demeure le diplôme d’études collégial. Ailleurs en Amérique du Nord, on exige un baccalauréat et le NCLEX-RN évalue donc des connaissances et des compétences plus pointues que ce qui est attendu.

Si l’OIIQ persiste dans sa volonté de recourir au NCLEX-RN, le commissaire recommande une plus grande transparence dans la démarche et surtout que l’on corrige les failles de l’examen actuel puisqu’il pourrait s’écouler encore plusieurs années avant d’assister à une première séance de l’examen américain au Québec.

L’Office des professions s’en mêle

Dans un communiqué diffusé peu après le dévoilement du rapport, l’Office des professions a annoncé qu’il imposait une forme de tutelle à l’OIIQ en déployant des «mesures d’accompagnement pour s’assurer que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec suivra rigoureusement les recommandations formulées».

Un spécialiste indépendant a notamment été nommé par l’office pour «encadrer le processus d’établissement de la note de passage» de l’examen de septembre 2023 et pour veiller à l’application des recommandations concernant le recalcul de la note de passage des examens précédents.

L’OIIQ a confirmé qu’il collabore avec cet expert depuis le début du mois dernier.

La présidente de l’office, Dominique Derome, dit avoir pris cette décision dans un objectif de «protection du public». L’organisme insiste également sur sa volonté d’«assurer une présence active, critique et orientante» auprès de l’OIIQ.

Du côté de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, on dit prendre acte des nouvelles recommandations formulées. Affirmant être «sensible aux enjeux que ce dossier soulève», autant pour le réseau que pour les aspirantes infirmières, «l’OIIQ entend conserver une position d’ouverture», promet-on.

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