Les agriculteurs continuent de manifester pour attirer l’attention sur leurs enjeux

SHERBROOKE, Qc — Lundi matin à Sherbrooke: des dizaines de tracteurs roulent lentement sur un tronçon de rue reliant les bureaux régionaux de l’Union des producteurs agricoles et le ministère de l’Agriculture, à quelques centaines de mètres.

Aussi inusitée soit-elle, cette scène est devenue fréquente au Québec depuis décembre. Affectés par les taux d’intérêt élevés et le lourd fardeau réglementaire, les agriculteurs québécois multiplient les actions de mobilisation pour se faire entendre.

«Ce n’est pas facile de convaincre les agriculteurs de quitter leur ferme pour venir manifester, parce qu’ils ont déjà beaucoup de travail. Donc quand on les voit tous ici, ça démontre qu’il se passe quelque chose de vraiment grave en ce moment dans le milieu agricole», a soutenu Benjamin Boivin, un producteur de maïs et de blé de l’Estrie, qui était présent à la manifestation.

Les programmes d’aide gouvernementaux ne répondent plus aux besoins des agriculteurs, alors que seulement 1 % du budget provincial est consacré à ce domaine. La majeure partie de cet argent finance un crédit d’impôt pour aider les agriculteurs à payer les taxes municipales, a rappelé M. Boivin.

Le président de l’Union des producteurs agricoles, Martin Caron, a noté que le revenu net des fermes a chuté en moyenne de 50 % l’an dernier, en grande partie à cause de la hausse des taux d’intérêt et du coût élevé des produits agricoles, du carburant et des équipements.

Accablés par des profits en baisse, les agriculteurs sont également contraints de se conformer à de plus en plus de formalités administratives. Les formulaires requis pour agrandir les terres agricoles peuvent compter 100 pages et l’approbation de nouveaux bâtiments peut prendre des mois.

«Quand vous avez des bureaucrates qui viennent chez vous pour vous dire comment faire votre travail, ça ne marche plus pour les producteurs», a martelé M. Caron en entrevue.

Agriculteurs désavantagés

Depuis 2015, les agriculteurs ont payé au gouvernement plus de 400 millions $ en taxes environnementales, prélevées sur une gamme de produits en plastique, comme les contenants de semences, d’engrais et de pesticides.

M. Caron souhaiterait que cet argent soit retourné directement aux agriculteurs pour les aider à s’adapter aux changements climatiques.

Ces frais, qui n’existent pas ailleurs au Canada ou à l’échelle internationale, ont désavantagé les agriculteurs québécois sur le plan commercial, a-t-il mentionné.

Également, les agriculteurs veulent que le gouvernement plafonne les taux d’intérêt sur les prêts qui leur sont consentis à 3 %. Et même si la province a créé un programme de financement d’urgence, M. Caron a nuancé qu’il consiste en prêts à des taux inabordables pour les agriculteurs déjà endettés.

Taux d’intérêt élevés

Selon le directeur du programme de gestion et technologies d’entreprises agricoles de l’Université McGill, Pascal Thériault, lorsque les taux d’intérêt étaient bas, les agriculteurs étaient incités à investir dans leurs fermes. Mais la hausse des taux d’intérêt a contribué à la diminution de leurs profits, a-t-il expliqué.

Les agriculteurs présents à la manifestation de lundi ont indiqué que les programmes gouvernementaux restent axés sur les nouveaux investissements, plutôt que sur le soutien aux activités existantes.

En raison du caractère saisonnier de l’agriculture, les producteurs doivent souvent emprunter de l’argent, a soutenu M. Thériault.

«Au printemps, ils n’ont pas encore de revenus, donc ils doivent emprunter: emprunter pour obtenir les semences, les engrais et tout ce dont ils ont besoin», a-t-il affirmé en entrevue.

«Il faut avoir beaucoup d’actifs pour générer des revenus, donc ils n’ont pas le choix d’emprunter. Et quand il y a une hausse des taux d’intérêt, ça fait mal au portefeuille.»

La bureaucratie liée aux programmes d’aide agace aussi les agriculteurs, selon M. Thériault.

Par exemple, un agronome – un spécialiste du sol – doit signer certains documents, et les agriculteurs peuvent obtenir une subvention pour en embaucher un, mais cela entraîne encore plus de paperasse.

«Ils doivent donc remplir des documents pour pouvoir demander à quelqu’un de les aider à remplir les documents», a illustré M. Thériault.

Le gouvernement à l’écoute

Québec se dit à l’écoute des préoccupations des agriculteurs.

«Nous parlons ici d’une tempête parfaite, donc nous comprenons pourquoi nos producteurs sont inquiets», a déclaré Sophie J. Barma, attachée de presse du ministre de l’Agriculture André Lamontagne, par courriel.

Les agriculteurs qui éprouvent des difficultés peuvent postuler à un programme de financement d’urgence créé l’an dernier, a-t-elle indiqué, ajoutant que le gouvernement travaille avec l’Union des producteurs agricoles et d’autres groupes pour réduire le fardeau réglementaire et administratif.

Mais M. Caron réplique qu’il veut voir des résultats.

«Nos gens veulent des actions concrètes. Ça fait trop longtemps qu’on nous dit: « On comprend, on va créer des comités »», a-t-il dénoncé.

«Nos gens veulent être respectés.»