Le projet de réforme de la libération sous caution suscite des inquiétudes

OTTAWA — De nombreux membres de la communauté juridique canadienne s’inquiètent de la façon dont le système judiciaire, déjà surchargé, pourrait être affecté par un projet de loi libéral qui rendrait l’accès à la libération sous caution plus difficile pour certaines personnes faisant face à des accusations criminelles.

Les sénateurs d’un comité chargé d’examiner le projet de loi C-48entreront, la semaine prochaine, dans la phase finale de leur étude en examinant le projet de loi article par article et en suggérant des amendements.

Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, a encouragé le Sénat à adopter le projet de loi rapidement, affirmant que le fait que tous les gouvernements provinciaux et territoriaux ont fait pression en faveur de ces mesures souligne leur urgence.

Les responsables de la police soutiennent également le projet de loi, affirmant qu’il s’agit de réformes indispensables après une série de meurtres très médiatisés commis par des récidivistes violents, qui, dans certains cas, ont été libérés sous caution.

Toutefois, des groupes de la société civile et des avocats représentant des personnes noires, autochtones ou marginalisées, soutiennent que ces mesures pourraient aggraver la surreprésentation de ces groupes derrière les barreaux, un problème que les libéraux ont promis de résoudre, sans pour autant rendre les communautés plus sûres.

Le projet de loi a été rédigé pour cibler les délinquants ayant un passé criminel violent, après des pressions soutenues de la part des premiers ministres et des conservateurs fédéraux pour que les libéraux adoptent des changements.

Il vise à élargir ce que l’on appelle les dispositions au sujet de l’inversion du fardeau de la preuve, ce qui signifie qu’il appartiendrait à l’accusé de faire valoir les raisons pour lesquelles il devrait être libéré en attendant son procès, plutôt que les procureurs de la Couronne démontrent pourquoi il devrait rester en prison.

Les libéraux veulent élargir les mesures existantes d’inversion du fardeau de la preuve pour inclure davantage d’infractions liées aux armes à feu, notamment l’introduction par effraction en vue de voler une arme à feu.

Les dispositions sur le renversement du fardeau de la preuve s’appliqueraient également dans les cas d’infractions violentes graves impliquant une arme – qui pourraient impliquer des armes comme un vaporisateur contre les ours ou des couteaux – lorsque l’accusé a été reconnu coupable d’une infraction similaire au cours des cinq dernières années.

Les avocats criminalistes, les groupes d’aide juridique et certains sénateurs se disent préoccupés par la pression exercée sur les services d’aide juridique et les systèmes judiciaires provinciaux, qui ont déjà du mal à garantir que les affaires soient entendues dans des délais conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, et ne soient pas suspendues en raison de retards.

«Nous devons simplement être plus attentifs aux conséquences de la loi pour les acteurs qui devront mettre en œuvre le programme, a déclaré un sénateur de la Saskatchewan, Brent Cotter, qui préside le comité juridique du Sénat. Les systèmes d’aide juridique seront probablement plus chargés qu’ils ne le sont actuellement, et nous n’avons pas été particulièrement proactifs à ce sujet.»

Même si l’aide juridique est fournie par les provinces pour permettre à ceux qui n’ont pas les moyens d’engager un avocat d’accéder à des conseils juridiques, les coûts du système sont partagés avec le gouvernement fédéral.

M. Cotter a ajouté que l’expansion des dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve affectera les personnes à faible revenu et aura un impact disproportionné sur les personnes autochtones et noires.

«Si on fait partie de la tranche économique défavorisée, on n’aura pas aussi facilement le temps de monter son dossier pour obtenir sa libération sous caution. Le soutien que le système d’aide juridique peut apporter pourrait donc être la ressource professionnelle la plus importante qui pourrait être mise à disposition.»

L’Association des régimes d’aide juridique du Canada, qui représente des groupes d’aide juridique de partout au pays, a déclaré que la plupart des personnes qui se retrouvent devant le tribunal de mise en liberté sous caution dépendent de ces services.

Il a prévenu qu’exiger que davantage de personnes accusées d’un crime démontrent pourquoi elles devraient être libérées non seulement «augmenterait la longueur et la complexité de nombreuses enquêtes sur la libération sous caution», mais mettrait également plus de pression sur «les ressources de la défense et des tribunaux» et risquerait d’aggraver les arriérés judiciaires.

La seule façon d’atténuer ces risques, en particulier pour ceux qui n’ont pas les moyens de se faire représenter par un avocat, serait d’augmenter le financement des services d’aide juridique, a fait valoir l’association.

La procureure générale de la Colombie-Britannique, Niki Sharma, dont la province soutient le projet de loi, a également reconnu la nécessité de considérer son impact sur les programmes d’aide juridique, lors de son témoignage plus tôt cette semaine.

Elle a dit que la Colombie-Britannique est reconnaissante du financement accru que la province a reçu au cours des dernières années, mais a noté que cela pourrait ne pas être suffisant.

«Nous pensons que nous devons travailler de concert avec le gouvernement fédéral pour obtenir de nouvelles augmentations de l’aide juridique en matière pénale afin de garantir que les gens aient la possibilité d’être représentés s’ils n’en ont pas les moyens», a-t-elle déclaré.

Boris Bytensky, trésorier de la Criminal Lawyers’ Association, qui représente près de 2000 avocats, a laissé entendre aux sénateurs que si le projet de loi C-48 était adopté, il entraînerait davantage d’enquêtes sur la libération sous caution, ce qui signifierait qu’il faudrait davantage de salles d’audience et davantage d’avocats.

En ce qui concerne l’aide juridique, a-t-il indiqué, «d’une manière ou d’une autre, des fonds supplémentaires seront nécessaires», qu’ils viennent d’Ottawa ou des gouvernements provinciaux.

Une porte-parole du ministre Virani a affirmé, dans un communiqué, que ce sont les provinces qui administrent l’aide juridique en matière pénale, et a souligné que les libéraux ont augmenté le financement, ce qui a «compensé les réductions importantes effectuées par certaines provinces».

«Le ministre Virani réitérera à ses homologues provinciaux et territoriaux l’importance de travailler ensemble pour assurer un financement stable et prévisible de l’aide juridique afin que les Canadiens puissent accéder à la justice», a précisé Chantalle Aubertin, dans un courriel.