Le père d’une Ontarienne assassinée par son ex réclame un contrôle des armes à feu

MONTRÉAL — Alors que l’on souligne mercredi le 34e anniversaire de l’assassinat de 14 étudiantes à l’École polytechnique de Montréal, le père d’une femme tuée par balle en octobre par son ancien partenaire en Ontario exhorte les sénateurs à adopter sans délai le projet de loi sur le contrôle des armes à feu.

Dans une lettre envoyée cette semaine aux membres de la chambre haute, Brian Sweeney affirme que le projet de loi C-21 contient des mesures cruciales qui amélioreraient la façon dont la police traite les cas de violence conjugale impliquant des armes à feu au Canada.

«La mise en œuvre de ces mesures est urgente, soutient M. Sweeney dans sa lettre consultée par La Presse Canadienne. Le projet de loi est le résultat d’années de plaidoyer de la part des victimes et des groupes de femmes, et des femmes sont mortes pendant que le projet de loi est débattu.»

La fille de M. Sweeney, Angie, a été abattue par son ancien partenaire Bobbie Hallaert après qu’il soit entré par effraction chez elle à Sault Ste. Marie, en Ontario, il y a deux mois. Hallaert s’est ensuite rendu dans une autre résidence et a tué trois de ses propres enfants et blessé une autre femme, avant de se suicider.

«La mort d’Angie, comme celle de toutes les victimes, laisse derrière elle une série de cœurs et de vies brisées», a déclaré M. Sweeney.

L’Ontarien prévoyait être à Montréal mercredi pour souligner avec les familles et les survivants l’anniversaire de cette sinistre journée du 6 décembre 1989, lorsqu’un homme armé d’un «Ruger Mini-14» a assassiné 14 femmes à Polytechnique, parce qu’elles étaient des femmes.

«Les 14 victimes et mon Angie méritent mieux que nos lois et procédures actuelles, déclare M. Sweeney. Trois enfants innocents ont également payé le prix de l’échec de notre système.»

Les enquêteurs de la police de Sault Ste. Marie ont déclaré à la fin du mois dernier qu’ils tentaient de déterminer comment Hallaert, qui n’avait pas de permis valide, avait obtenu le fusil SKS et le revolver de calibre .38. La police a aussi confirmé que ce délinquant connu avait déjà fait l’objet d’enquêtes pour des gestes commis contre une conjointe.

«Retirer les armes de mauvaises mains»

Le projet de loi fédéral C-21, déposé aux Communes en mai 2022, prévoit de nouvelles mesures pour garder les armes à feu hors de la portée des auteurs de violence conjugale. Il renforcerait le moratoire sur les armes de poing, augmenterait les sanctions en cas de trafic d’armes à feu et s’efforcerait de lutter contre les «armes fantômes» artisanales.

Le projet de loi comprend également une interdiction des armes à feu de type «assaut», qui relèvent d’une nouvelle définition technique. Il s’appliquerait aux armes conçues et fabriquées après l’entrée en vigueur du projet de loi.

Des organismes qui militent pour le contrôle des armes à feu, comme «PolySeSouvient», qui regroupe des étudiantes et des diplômés de l’école de génie montréalaise, pressent le Parlement d’adopter enfin cette loi. Des députés conservateurs et des propriétaires d’armes à feu ont plaidé que ce projet de loi était malavisé et pénalisait les Canadiens ordinaires qui respectent les lois.

Les membres d’un comité sénatorial ont étudié le projet de loi C-21 article par article, et il devrait bientôt revenir devant la Chambre haute au complet, pour la troisième lecture.

«Il n’y a aucune justification raisonnable pour retarder l’adoption et la mise en œuvre de ces mesures, déclare M. Sweeney dans sa lettre aux sénateurs. Je vous supplie donc de voter dès qu’il arrivera au Sénat pour la troisième lecture.»

L’Ontarien exprime sa colère dans sa lettre face au fait qu’une personne au passé comme celui de Hallaert puisse avoir accès à des armes à feu. «La violence familiale est une épidémie et les gouvernements n’en font pas assez pour la prévenir», écrit-il.

«C’est pourquoi j’ai promis à Angie que je ne m’arrêterai pas tant que les lois de ce pays ne seront pas renforcées pour mettre fin aux meurtres conjugaux. Je veux surtout retirer les armes des mains de personnes qui ne devraient pas en avoir.»

Montréal se souvient

Pendant ce temps, mercredi matin à Montréal, un petit groupe d’étudiants et d’administrateurs de Polytechnique Montréal se sont rassemblés sur le campus de l’école pour commémorer les femmes dont la vie a été abruptement écourtée lors de l’attentat antiféministe il y a 34 ans.

Les participants à la cérémonie ont déposé des fleurs sous une plaque commémorative en granit portant les noms des 14 victimes de ce féminicide: Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucznik-Widajewicz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault et Annie Turcotte. Une minute de silence a suivi.

«Cette journée est devenue au fil des années un véritable symbole du souvenir de ces jeunes femmes qui ont perdu la vie», a déclaré la présidente de Polytechnique Montréal, Maud Cohen, en entrevue après la cérémonie. Ce triste anniversaire rappelle également l’importance de rendre l’école – et la société dans son ensemble – «aussi accueillante qu’elle devrait l’être pour les jeunes filles, mais aussi pour tous ceux et celles qui (…) aspirent à devenir ingénieurs», a-t-elle déclaré.

Pour Béatrice Cyr, étudiante en génie énergétique à Polytechnique Montréal, cet anniversaire est l’occasion de réfléchir aux progrès sociaux accomplis, et aux femmes avant elle qui se sont vu refuser les opportunités et le sentiment de sécurité dont elle peut jouir aujourd’hui dans son domaine.

La jeune femme admet que parce que la tuerie a eu lieu avant sa naissance, elle n’y pense pas tous les jours. «Mais je pense que c’est une bonne chose parce que j’étudie ici, je suis simplement passionnée par ce que je fais et je me sens bien ici, a-t-elle déclaré. Je me sens la bienvenue. J’ai l’impression d’avoir ma place ici.

«Mais quand on arrive à cette semaine, à ce jour, c’est très lourd de penser» que les 14 victimes de la tuerie «n’ont pas pu avoir la chance que j’ai de poursuivre ma passion en génie».

En fin d’après-midi, 14 faisceaux lumineux, un pour chaque victime, ont été allumés sur le belvédère du mont Royal lors d’une autre cérémonie officielle, qui s’est tenue en présence de plusieurs dignitaires.

La présidente du Comité Mémoire et sœur d’une des victimes, Catherine Bergeron, a rappelé qu’il est important de se souvenir de ce qui s’est passé le 6 décembre 1989 «car nous savons qu’il reste encore trop à faire pour vivre au sein d’une société égalitaire, ouverte, pacifique et où les femmes ne meurent pas parce qu’elles sont des femmes».

Le premier ministre du Québec, François Legault, et son homologue fédéral, Justin Trudeau, étaient sur place et ont déposé des roses blanches devant les photos des 14 victimes — un moment «touchant à chaque année», a avoué M. Legault.

«Depuis 34 ans, il y a des choses qui ont changé, mais il reste encore beaucoup trop de travail à faire», a ajouté M. Trudeau en mêlée de presse après la vigile.