Le coroner note des lacunes dans les recherches des petites Romy et Norah Carpentier

MONTRÉAL — Le coroner en chef adjoint Luc Malouin a relevé dans son rapport d’enquête sur le décès des petites Romy et Norah Carpentier des problèmes dans les recherches policières qui ont mené à la découverte du corps inanimé des fillettes plus de deux jours après leur disparition en juillet 2020.

Me Malouin a déposé mardi son rapport de 85 pages, dans lequel il se penche sur les événements qui ont mené à l’homicide des fillettes et à la mort de leur père, Martin Carpentier, qui s’est enlevé la vie.

Selon le témoignage de proches, avant les événements, M. Carpentier semblait moins bien aller et craignait de perdre la garde de ses filles dans son divorce imminent. Tous le décrivaient toutefois comme un bon père, qui avait même une relation «fusionnelle» avec ses filles.

Toute cette mise en situation mène à la soirée du 8 juillet 2020, lorsque l’homme décide d’aller prendre une crème glacée avec Romy et Norah. Sur l’autoroute 20, près de Saint-Apollinaire, il perd la maîtrise de son véhicule pour une raison inconnue, et un accident se produit. Selon le coroner, il s’agira du «point de bascule» pour le père de famille, qui est allé dans les bois environnants avec ses filles.

Après l’accident, des recherches terrestres sont ensuite mises en place par la Sûreté du Québec (SQ), que le coroner résumera ainsi: «trop peu, trop tard».

Alors que les fillettes et leur père sont disparus la veille, la police ne fera une demande pour l’équipe de l’unité des mesures d’urgence seulement à 5 h, ce qui fera que les policiers ne commenceront leurs recherches que peu avant 10 h, soit presque cinq heures après le lever du soleil – des heures perdues, selon le coroner.

Et lorsque les équipes commencent les recherches, elles n’utilisent pas les règles appropriées pour cibler le territoire à fouiller.

Le lendemain, le 10 juillet, les recherches commencent encore bien après le lever du soleil, à 9 h. 

«Encore ici, dans les instances hiérarchiques de la SQ, on a oublié la notion d’urgence de la situation. Deux jeunes enfants et leur père sont probablement quelque part dans les boisés autour du lieu de l’accident d’automobile et on ne planifie pas les ressources pour commencer le plus tôt possible les recherches», souligne le coroner.

Me Malouin soulève par ailleurs que les policiers de la SQ auraient pu demander de l’aide à d’autres organisations, dont le Service de police de la Ville de Québec ou les agents de protection de la faune.

«Le temps de l’orgueil organisationnel ou du protectionnisme syndical est révolu. Les citoyens sont en droit d’obtenir les meilleurs services possibles lorsque survient un événement dramatique et il n’y a aucune raison de ne pas mettre à profit l’ensemble des partenaires qui possèdent l’expérience pour aider lors de cet événement», déplore le coroner.

Me Malouin se garde toutefois d’affirmer que sans ces problèmes, les fillettes auraient pu être retrouvées vivantes: «Les chances de les retrouver saines et sauves auraient été maximisées certes, mais il est incertain que cela aurait pu être le cas, dans la mesure où un homme traqué comme l’était M. Carpentier aurait pu précipiter son geste.»

Alerte Amber

Le coroner a aussi examiné le délai qui s’est écoulé entre la disparition des fillettes le 8 juillet en soirée et la publication de l’alerte Amber le 9 juillet en après-midi.

Entre le moment où les policiers ont déterminé que l’événement satisfaisait tous les critères d’une telle mesure et la publication, il s’est écoulé moins de trois heures, en raison d’un problème informatique.

Dans ce cas, le coroner croit que l’alerte n’a pas donné de résultats concrets dans l’enquête. 

«On peut donc discuter du fait qu’elle ait été ou non tardive, mais finalement, je me dois de constater que toute cette discussion ne serait que théorique considérant le résultat», explique-t-il.

Selon lui, il aurait été mieux de publier le plus vite possible une alerte médiatique, où les critères sont moins stricts que pour l’alerte Amber.

«Je crois que le matin du 9 juillet, alors que toute la population s’éveille, ouvre la radio ou la télévision, lit les nouvelles dans les médias ou sur les réseaux sociaux, il s’agissait d’une occasion parfaite pour alerter la population de la disparition de trois personnes, dont deux jeunes filles.»

Recommandations

Devant ces conclusions, Me Malouin a offert une série de recommandations pour mieux préparer les policiers dans de telles circonstances.

Il suggère notamment de rappeler à tous les policiers d’envisager «le pire des scénarios» lorsqu’une disparition d’enfant de moins de 13 ans survient et «d’agir en conséquence».

Il recommande aussi que les policiers soient mieux formés pour la recherche et le sauvetage. 

Le coroner croit également qu’il serait bénéfique de conclure des partenariats avec d’autres services policiers, des agents de protection de la faune et l’Association québécoise des bénévoles en recherche et sauvetage (AQBRS).

La SQ doit prendre acte, selon Bonnardel 

Interrogé sur le rapport en marge d’un autre événement à Québec, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a dit qu’il s’attendait à ce que la Sûreté du Québec mette en place les recommandations du coroner.

«On va tenir compte de ce rapport pour s’assurer d’avoir les bonnes équipes en place, les unités en place. On va former plus de policiers à l’École nationale de police», a-t-il assuré.

M. Bonnardel a rappelé que la SQ avait déjà implanté de nouvelles mesures et qu’elle continuerait de le faire à la lumière du rapport, notamment pour intervenir plus rapidement lors d’événements du genre.

«Je pense que le constat est clair, a-t-il ajouté. Le temps, les quelques heures perdues, des fois on parle juste de trois heures, quatre heures, cinq heures, mais cinq heures peuvent faire une différence.»

«Quand on perd cinq heures, c’est immense, on doit être plus que proactif.»