La perte des bisons affecte encore les communautés autochtones des Prairies

L’effondrement des troupeaux de bisons qui occupaient autrefois les Prairies a été une catastrophe économique qui affecte encore les Premières Nations qui en dépendaient autrefois, suggèrent de nouvelles recherches.

«Les occasions économiques sont déterminées en partie par l’histoire», a expliqué Donn Feir, historienne de l’économie à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, et l’une des trois auteurs d’un article récemment publié sur l’impact économique persistant de cette quasi-extinction.

«Lorsque l’on examine le paysage du développement et de la croissance économique des Autochtones au Canada et aux États-Unis, il faut garder à l’esprit que l’histoire est encore bien présente parmi nous», a-t-elle poursuivi. 

Mme Feir et ses collègues ont utilisé des données recueillies par des agents gouvernementaux et des anthropologues de longue date pour comparer l’impact de la perte des bisons sur les Premières Nations qui en dépendaient, avec celles qui n’en dépendaient pas. Ils concluent que la perte de l’animal et l’accès réduit aux institutions telles que les banques ont marqué ces nations physiquement et économiquement.

«Ces injustices historiques se perpétuent aujourd’hui à travers les pièges de la pauvreté», a affirmé Mme Feir, dont l’article est publié dans la Review of Economic Studies d’Oxford University Press.

Tasha Hubbard, cinéaste et spécialiste des études autochtones à l’Université de l’Alberta, a déclaré que les conclusions de l’article sont valables. 

«Cela en fait partie, a-t-elle dit. (La perte de bisons) a eu un impact extrêmement négatif sur les peuples autochtones.»

Elle a toutefois averti que ce phénomène continu doit être considéré dans un contexte plus large. Pour les Premières Nations des Plaines, les bisons représentaient une ressource culturelle autant qu’économique, et leur perte allait au-delà de la propriété, des emplois et des revenus.

«Oui, l’économie, a déclaré Mme Hubbard. Mais aussi le bien-être.»

Jusqu’à huit millions de bisons parcouraient les Plaines au milieu du XIXe siècle. Les Premières Nations de la région en dépendaient pour leur nourriture, leurs vêtements, leurs biens commerciaux, leurs maisons et leurs outils.

Les bisons les ont rendus riches. Les anthropologues affirment que leur niveau de vie et leur durée de vie étaient comparables à ceux des Européens contemporains.

Cependant, au tournant du siècle, tous les bisons, sauf environ 500, avaient été abattus. Un effondrement, qui s’est produit en une décennie dans certaines régions.

Pour examiner les effets de cet effondrement, les auteurs ont examiné des données recueillies entre 1889 et 1903 auprès d’environ 9000 personnes autochtones à travers le continent. Ils ont constaté que les nations dépendantes des bisons perdaient en moyenne plus de deux centimètres de hauteur, un indicateur couramment utilisé pour mesurer la pauvreté, a indiqué Mme Feir.

D’autres sources révèlent qu’au début du XXe siècle, la mortalité infantile était plus élevée dans les nations autrefois dépendantes des bisons. Une enquête américaine datant de 1900 a révélé que les hommes de ces pays étaient 19 points de pourcentage moins susceptibles d’avoir un emploi.

Les Autochtones ont perdu les bisons environ au même moment où ils ont été transférés vers des réserves difficiles à quitter. De plus, ces nations dépendantes des bisons avaient relativement moins de banques à proximité que les autres nations, a précisé Mme Feir.

«Imaginez que tout le pétrole et le gaz s’évaporent d’Amérique du Nord et que vous disiez à tous ceux qui vivent à Houston (Texas) qu’ils doivent rester à Houston et qu’ils ne peuvent pas emprunter de capitaux aux banques, puis que vous disiez : ‘Maintenant, nourrissez-vous’», a-t-elle illustré. 

Le résultat, a déclaré Mme Feir, serait une perte massive d’emplois, une baisse de la production et du commerce extérieur, un manque de capitaux pour permettre aux résidents de se recycler ou de lancer de nouvelles entreprises, ainsi que la fin de l’immigration de personnes avec de nouvelles idées et de nouvelles ressources.

«Parce qu’il y a eu ce choc économique majeur et que vous avez limité la capacité des gens à s’adapter à ce choc, vous vous retrouvez dans le piège de la pauvreté», a-t-elle affirmé. Ce piège a persisté au fil des décennies. 

Des données américaines suggèrent que les nations dépendantes des bisons étaient à la traîne par rapport aux autres Premières Nations en matière d’industries manufacturières et d’emplois. L’immigration était plus faible jusque dans les années 1980. Ces données suggèrent que les difficultés économiques persistent, avec un revenu par habitant 25 % inférieur pour les nations dépendantes du bison par rapport aux autres communautés autochtones.

Bien que le document s’appuie largement sur des données américaines, Mme Feir a précisé que les mêmes tendances s’appliquent au Canada. Les versions de travail antérieures du document incluaient davantage de sources canadiennes et des fils de discussion similaires ont émergé.

«Nous avons constaté des impacts très similaires», a-t-elle dit.

Pourtant, prévient Mme Hubbard, ce n’est pas toute l’histoire. Les bisons jouaient un rôle important dans la façon dont les Premières Nations des Plaines entretenaient leurs relations avec le monde, et les troupeaux représentaient bien plus que le simple fait d’acquérir et de dépenser.

«La richesse n’est pas une accumulation, a soutenu Mme Hubbard. La richesse est synonyme de bien-être général et il est nécessaire de réfléchir de manière approfondie à ce que signifient les économies autochtones.»

Les auteurs ont utilisé des techniques statistiques pour ajuster les impacts de facteurs tels que l’emplacement des réserves, l’autonomie locale, les chemins de fer ou l’implantation européenne. Le facteur dominant dans l’histoire économique des nations dépendantes du bison est demeuré la perte de leur principale ressource et les restrictions imposées à leur capacité à y faire face.

«Aucun ensemble de régressions ou de résultats de données n’est définitif, a nuancé Mme Feir. Mais, je suis convaincue que le bison et sa perte ainsi que les restrictions en matière de mobilité et d’accès au capital sont à l’origine de cette différence persistante.»