«Je comprends les gens d’être mécontents, mais il faut aller de l’avant»

LAC-MÉGANTIC, Qc — Plus de dix ans après la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic, les travaux de la voie de contournement vont commencer sans qu’on connaisse ni les coûts ni l’échéancier, dans une communauté divisée par le tracé.

«C’est un processus difficile, je comprends les gens qui vivent l’expropriation d’être mécontents et qu’il y ait de la douleur aussi, on les écoute, puis on les entend aussi, mais on doit aller de l’avant», a plaidé le ministre fédéral des Transports, Pablo Rodriguez, en conférence de presse vendredi au centre-ville, sur les lieux mêmes de la catastrophe.  

Il a été applaudi par les dizaines de citoyens présents devant la gare patrimoniale, mais d’autres ont exprimé leur colère concernant le tracé proposé et ses conséquences.

Ottawa paiera 60 % et Québec 40 % de la facture qui pourrait s’élever à plusieurs centaines de millions de dollars, mais aucune contribution financière du propriétaire du chemin de fer, Canadien Pacifique Kansas City (CPKC), n’est assurée.   

D’une longueur prévue de 12,5 km, la voie de contournement a pour objectif d’éviter que des trains de marchandises qui circulent encore actuellement dans le centre-ville de la municipalité avec des matières dangereuses provoquent une nouvelle tragédie.

En vertu de l’entente annoncée, la municipalité pourra entreprendre les travaux souterrains nécessaires qui seront financés par le fédéral.

Et dans un deuxième volet, CPKC pourra lancer un appel d’offres dans les prochaines semaines pour réaliser la nouvelle voie ferroviaire. Mais pour quand? Impossible de préciser un échéancier, dit-on. 

Les travaux avaient d’abord été évalués autour de 130 millions $, mais sans posséder d’estimation, on sait que ce sera «de loin supérieur», a reconnu M. Rodriguez. Il faut attendre le résultat des appels d’offres de CPKC.  

Le gouvernement caquiste avait déjà fait savoir autrefois qu’il n’allait pas donner un chèque en blanc à Ottawa pour des négociations dont il n’était même pas partie prenante, mais M. Rodriguez a dit avoir obtenu l’assurance que Québec allait payer sa part d’une enveloppe ouverte.    

Aucun représentant du gouvernement du Québec n’était présent vendredi, mais le député fédéral local, le conservateur Luc Berthold, y était.  

Il a invité les dirigeants de CPKC à venir visiter Lac-Mégantic et à y tenir une séance de son conseil d’administration. Ils ont une «responsabilité morale», a-t-il dit en mêlée de presse, sans toutefois réclamer leur contribution financière.

«Ce n’est pas juste un projet de contournement ferroviaire, c’est un projet de cohésion. C’est un projet de réparation, c’est un projet qui est très, très lourd de sens pour la communauté et pour l’industrie ferroviaire aussi, qui a un examen de conscience à faire.»

Réactions 

Certains citoyens présents ont exprimé leur colère. «On n’avance pas, on recule», a dit l’entrepreneur et propriétaire foncier Raymond Lafontaine, de Lac-Mégantic, qui a perdu un fils et deux brues dans la tragédie. 

«C’est politique, ce sont des entêtements, puis c’est de la dictature, on s’entend», s’est-il indigné en entrevue avec La Presse Canadienne. Il a affirmé qu’on tente de le museler et de le punir pour ses prises de position. 

Il soutient que l’indemnité qu’on lui verse pour l’expropriation qu’il subit sur 114 terrains est dérisoire. Il s’adresse à la Cour fédérale.

La voie de contournement proposée «n’est pas la bonne solution, c’est inconcevable», a-t-il conclu.

Une demande d’injonction des opposants doit aussi être entendue dans quelques semaines, mais M. Rodriguez dit être «confiant que le dossier (du fédéral) est solide».

La Coalition des victimes collatérales exige qu’on mette fin au projet de voie de contournement.

Compte tenu des données environnementales et hydrologiques, le tracé «ne règle ni les causes ni les effets de la tragédie de 2013, elle est moins sécuritaire que la voie actuelle», dit l’organisme.

Il y aurait ainsi «des impacts irréversibles sur la nappe phréatique, sur la qualité de l’eau potable d’un grand nombre de citoyens», estime le groupe.

Rappelons que le 6 juillet 2013, tout le centre-ville de Lac-Mégantic a été rasé par la pire catastrophe ferroviaire de l’Histoire du Canada.

Un convoi de 72 wagons de la Montreal Maine and Atlantic transportant du pétrole brut était stationné dans la localité voisine de Nantes quand son système de frein a lâché après un incendie de la locomotive. Le train s’est mis à dévaler la longue pente tout seul en pleine nuit. Il a déraillé en plein centre-ville de Lac-Mégantic, à proximité des restaurants et bars, et tué 47 personnes.

La coulée de pétrole en feu qui s’échappait des wagons a tout dévasté sur son passage.

Trois employés de la MMA ont été reconnus non coupable en 2018 de 47 accusations de négligence criminelle causant la mort.

Le chef de train, Thomas Harding, qui a plaidé coupable à une accusation pénale pour ne pas avoir suffisamment activé tous les freins pour sécuriser le train, a purgé une peine de six mois de détention chez lui.

En 2016, un montant de 450 millions $ a été réuni pour régler les poursuites civiles contre la MMA en vertu de la loi sur les arrangements avec les créanciers.