Ingérence: répéter des allégations ne les rend pas vraies, riposte David Johnston

OTTAWA — Le rapporteur spécial sur l’ingérence étrangère, David Johnston, a passé mardi l’essentiel de son long témoignage aux Communes à rejeter une par une les affirmations des députés des partis d’opposition voulant qu’il ne soit pas impartial, mais ses démentis ont été loin de convaincre ces mêmes élus.

«Ces allégations, pour dire les choses simplement, sont fausses et la décision de les répéter ne les rend pas vraies», a-t-il tranché devant les membres du comité de la procédure et des affaires de la Chambre, en ouverture d’un témoignage qui aura duré plus de trois heures.

Après ce reproche à peine voilé, mais formulé sur un ton posé, conservateurs, bloquistes et néo-démocrates ont tour à tour posé des questions chargées à l’ex-gouverneur général, laissant transparaître dès les premières minutes que les réponses ne les satisfaisaient pas. 

Les conservateurs ont lancé le bal en interrogeant M. Johnston sur une série de commentaires qu’il aurait formulés par le passé et qui démontrent, selon eux, sa proximité avec Pékin et avec le premier ministre Justin Trudeau.

Le député Luc Berthold a par exemple mentionné que M. Johnston aurait dit, en 2017, qu’il était «merveilleux» pour ce dernier d’«être de retour en Chine» et qu’il sentait qu’il était «revenu à la maison». M. Berthold a mentionné que le rapporteur spécial était alors recteur de l’Université de Waterloo, avait visité une université en Chine et rencontré le président chinois Xi Jinping.

M. Johnston n’a pas confirmé avoir tenu pareils propos au cours de son témoignage.

Quant aux révélations voulant que l’avocate Sheila Block, qui a épaulé le rapporteur spécial,a donné 7593 $ au Parti libéral du Canada (PLC) entre 2003 et 2022, M. Johnston a dit ne pas y voir de conflit d’intérêts.

Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh mentionne, depuis la semaine dernière, cette information d’abord rapportée par le groupe Democracy Watch comme un facteur déterminant l’ayant convaincu que M. Johnston doit se retirer de son présent rôle. Conservateurs et bloquistes accusaient déjà ce dernier d’être un «ami» de M. Trudeau depuis mars.

«Il y a une apparence de partialité trop forte pour qu’il puisse continuer de faire son travail», a encore dit M. Singh mardi aux journalistes, quelques minutes avant de participer à la première portion du témoignage du rapporteur spécial au cours de laquelle il lui a posé des questions.

M. Johnston a indiqué que Mme Block avait déjà travaillé avec lui, il y a une quinzaine d’années, quand il a été nommé par l’ex-premier ministre Stephen Harper comme conseiller indépendant chargé d’examiner des allégations concernant des transactions financières entre Karlheinz Schreiber et Brian Mulroney.

«Elle est réputée pour la qualité de son travail», a insisté M. Johnston en affirmant, par après, qu’il n’avait pas pris connaissance de ses  contributions politiques au moment de travailler à nouveau avec elle. Il a tout de même affirmé durant sa comparution que l’avocate avait contribué à la caisse électorale d’autres partis.

Selon les données accessibles en ligne, Mme Block a seulement donné au PLC sur la scène fédérale, mais il est possible de constater qu’elle a aussi fait un don de 500 $ pour la campagne de l’ex-maire John Tory aux élections municipales de 2022 à Toronto. M. Tory a travaillé pour l’ex-premier ministre conservateur Brian Mulroney et a été chef des progressistes-conservateurs de l’Ontario.

Il n’était pas clair, mardi, si l’avocate avait d’autres contributions à son actif. «Ma compréhension est que ses contributions ont été assez répandues», a dit M. Johnston lorsque le néo-démocrate Peter Julian lui a demandé plus de détails à ce chapitre.

Quoi qu’il en soit, le rapporteur spécial a tenu à souligner que les conclusions de son rapport préliminaire exprimant un avis défavorable à la tenue d’une commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère étaient les siennes et non celles de Mme Block.

Johnston défend son idée d’audiences

À plusieurs moments dans son témoignage, M. Johnston a semblé laisser entendre que les députés se concentraient trop sur les allégations à son endroit et pas assez sur la nécessité urgente de renforcer les capacités du Canada à se défendre concrètement contre les efforts d’ingérence exercés par Pékin.

«Ce qu’on fait aujourd’hui, c’est qu’on est en train d’essayer le plus possible de défendre la démocratie qui est prise d’assaut par l’ingérence étrangère», a pour sa part soutenu le leader parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien. 

Ce dernier a réclamé des explications du rapporteur spécial à savoir pourquoi une commission d’enquête n’était pas préconisée dans le contexte où il y a «des précédents» et que certaines portions précises de l’investigation pourraient se tenir à huis clos. M. Therrien a, comme d’autres élus, donné en exemple la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, où des informations sensibles ayant trait à la sécurité nationale étaient en jeu.

M. Johnston a répondu en affirmant que le juge qui avait été à la tête de cette commission d’enquête avait souligné, après coup, que l’exercice avait été «difficile» étant donné les documents classifiés qui devaient le demeurer, notant que cela requérait beaucoup de temps et d’argent.

Le rapporteur spécial avait aussi fait mention de l’aspect coûteux d’une enquête publique dans son rapport préliminaire.

«Je suis un peu estomaqué d’entendre qu’une enquête publique et indépendante peut être coûteuse. Quel est le prix d’une démocratie?», s’est indigné M. Therrien mardi.

M. Johnston a défendu son idée de plutôt tenir des audiences publiques sur les améliorations à apporter au système canadien, dès le mois prochain, au cours desquelles il compte entendre des membres de la communauté sino-canadienne.

À ce sujet, le conservateur Michael Chong, qui a été dans la mire de Pékin, a affirmé que des Sino-Canadiens ne voulaient rien savoir de ce processus et réclamaient plutôt, à l’instar de l’ensemble des partis d’opposition, une commission d’enquête. Il a donné l’exemple de Mehmet Tohti, directeur exécutif du groupe  Uyghur Rights Advocacy Project.

Conservateurs, bloquistes et néo-démocrates sont ressortis de la réunion du comité de mardi en réaffirmant tous que M. Johnston devait quitter et qu’une enquête publique était plus que nécessaire.

M. Trudeau a aussi gardé le cap sur son propre message, accusant ses opposants politiques – et particulièrement les chefs conservateur et bloquiste, Pierre Poilievre et Yves-François Blanchet – de «rester dans l’ignorance pour pouvoir continuer leurs attaques sans fondement».

– Avec des informations de Michel Saba