Deux pompiers noirs de Montréal se disent victimes de racisme

MONTRÉAL — Deux pompiers noirs de Montréal disent avoir été confrontés à des années d’abus racistes de la part de leurs collègues. Ils croient maintenant qu’il faudra une action extérieure pour changer la culture du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM).

Mardi, un groupe antiraciste montréalais a déclaré avoir déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec au nom des deux pompiers, demandant une enquête externe sur le racisme dans le département et 40 000 $ en dommages pour chacun d’eux.

Alain Babineau, directeur de la Coalition rouge pour les questions de profilage racial et de sécurité publique, a soutenu que les pompiers noirs ne devraient pas avoir à compter sur la chance pour éviter de subir de la discrimination au travail.

«Vous ne pouvez pas espérer atterrir dans une équipe respectueuse, cela devrait être une norme», a-t-il affirmé, ajoutant que les plaintes pour racisme sont souvent rejetées ou minimisées par les gestionnaires.

La plainte allègue également que le syndicat des pompiers a manqué à sa responsabilité de protéger ses membres contre le racisme.

Dans des documents déposés auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, les deux pompiers dévoilent ce qu’ils considèrent comme des années d’abus de la part de leurs collègues.

Alberto Syllion, qui a rejoint le SIM en 2008, a déclaré qu’il était le seul Noir dans son groupe de recrues et qu’il avait entendu des blagues racistes et des commentaires péjoratifs presque tous les jours pendant sa période d’intégration.

L’un des officiers supérieurs chargés de la formation lui a dit qu’il était un «bon Noir» parce qu’il ne se mettait pas en colère lorsque des blagues racistes étaient faites devant lui, raconte-t-il.

À d’autres occasions, M. Syllion a dit que ses collègues avaient suggéré qu’il était un criminel en raison de sa race.

Un jour, alors qu’il répondait à un appel médical après une fusillade, M. Syllion a déclaré que son lieutenant ainsi qu’un policier avaient plaisanté en disant qu’il était connu de la police, et que le lieutenant lui avait alors demandé si la victime, également un homme noir, était l’un de ses amis.

«J’ai trouvé cela insultant, déshumanisant et totalement non professionnel», a-t-il écrit. Lorsqu’il a dit au lieutenant, plus tard, que le commentaire était inapproprié, «il était en colère et a dit que c’était une blague et que c’est ça être pompier», a indiqué M. Syllion.

M. Syllion, qui dit être le huitième Noir embauché par le SIM depuis sa fondation en 1863, a été chargé d’accroître la diversité dans le service en 2011. Ce rôle à temps partiel lui a toutefois mis une cible sur le dos, a-t-il écrit. 

«J’ai reçu des insultes, des appels téléphoniques menaçants, j’ai été abordé par (les pompiers de Montréal) alors que j’étais dans mon temps libre dans un restaurant ou un bar, me disant que je ne suis pas le bienvenu dans certaines casernes de pompiers.»

Bien que les insultes à son encontre n’aient donné lieu à aucune mesure, il a déclaré qu’il avait été sanctionné pour avoir fait des commentaires discriminatoires en uniforme, après avoir plaisanté avec un ami policier sur le profilage racial des Blancs.

M. Syllion a dit avoir pris conscience qu’une action extérieure était nécessaire au début du mois, après une réunion au cours de laquelle des officiers supérieurs n’ont pas agi à l’endroit d’un lieutenant qui a utilisé à plusieurs reprises «le mot en N» devant un jeune pompier noir. M. Syllion, qui avait encouragé le jeune homme à rejoindre le département, a raconté que le lieutenant et le jeune pompier ont été affectés dans le même camion après la réunion au sujet des commentaires racistes.

Dans un courriel, un porte-parole de la Ville de Montréal, Gonzalo Nunez, a indiqué qu’une enquête avait été menée et que le pompier qui avait tenu ces propos avait été temporairement suspendu puis sanctionné, sans fournir plus de détails.

Un haut responsable des pompiers s’est ensuite rendu à la caserne «afin de réitérer que toutes les formes de racisme et de discrimination sont inacceptables», a écrit M. Nunez.

L’autre pompier nommé dans la plainte en matière de droits de la personne, Jean-Alain Cameau, a déclaré dans un document déposé à la Commission qu’on l’avait traité «du mot en N» — accompagné d’un juron — dès son premier jour de travail.

Quand ses collègues ont été informés qu’il ne mange pas de porc parce qu’il est musulman, M. Cameau, qui a rejoint le service il y a 13 ans, a dit avoir reçu de nouvelles insultes.

M. Babineau a précisé que son groupe parle au nom des deux pompiers parce qu’ils craignent des représailles s’ils parlent publiquement de leurs expériences.

«Ils adorent être pompiers, a dit M. Babineau. Ils veulent juste être traités avec respect.»

M. Nunez a écrit que la Ville a pris des mesures au cours de la dernière année pour prévenir le racisme et d’autres formes de discrimination et qu’elle a apporté des changements majeurs au processus de réception des plaintes pour discrimination en juin dernier. Ce travail se poursuit, a ajouté M. Nunez.

Cependant, M. Babineau a déclaré que l’agence municipale chargée de recevoir les plaintes n’est pas suffisamment indépendante et qu’elle manque de mordant, car elle ne peut que formuler des recommandations.