Le président mexicain se dit au-dessus des lois protégeant les données personnelles

MÉXICO — Le président mexicain a défendu vendredi sa décision de divulguer le numéro de téléphone d’une journaliste, affirmant qu’une loi interdisant aux autorités de divulguer des informations personnelles ne s’appliquait pas à lui.

Les groupes de défense de la liberté de la presse ont déclaré que la décision du président de rendre public, jeudi, le numéro de téléphone d’une journaliste du «New York Times» était une tentative de punir les reportages critiques et exposait le journaliste à un danger potentiel.

La loi mexicaine sur la protection des données personnelles stipule que «le gouvernement garantira la vie privée des individus» et prévoit des sanctions pour les fonctionnaires et autres personnes qui «utilisent, prennent, publient, cachent, modifient ou détruisent, totalement ou partiellement, de manière inappropriée, des données personnelles».

Le président Andrés Manuel López Obrador a affirmé que l’autorité politique et morale du président du Mexique est au-dessus de cette loi, ajoutant qu’«aucune loi ne peut être au-dessus du principe sublime de liberté». Il a également accusé les médias américains d’agir avec «arrogance».

Il a également minimisé les risques encourus par les journalistes, affirmant qu’il s’agissait «d’une vieille chanson que vous (les journalistes) utilisez pour discréditer [le] gouvernement», et suggérant que la journaliste du «Times» devrait simplement «changer son numéro de téléphone».

Au moins 55 journalistes tués au Mexique depuis 2018

Le Mexique est l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les journalistes, en dehors des zones de guerre. Le Comité pour la protection des journalistes, ou CPJ, a documenté les meurtres d’au moins 55 journalistes au Mexique depuis 2018, date à laquelle M. López Obrador a pris ses fonctions.

Jan-Albert Hootsen, représentant du CPJ au Mexique, a souligné que la publication du numéro de téléphone d’un journaliste au Mexique peut être dangereuse.

«La grande majorité des menaces, du harcèlement et des intimidations que reçoivent les journalistes dans ce pays, tant étrangers que nationaux, sont transmis via des messages sur des applications de messagerie sur des téléphones portables», a-t-il pointé.

L’incident est survenu jeudi lorsque M. López Obrador a nié les allégations contenues dans un article du «New York Times» concernant une enquête américaine sur des accusations selon lesquelles ses proches auraient accepté de l’argent venant de trafiquants de drogue peu avant son élection de 2018 et de nouveau après qu’il ait été président.

L’article citait des responsables américains non identifiés, familiers de l’enquête désormais abandonnée, et notait qu’aucune enquête formelle n’avait été ouverte et qu’on ne savait pas non plus dans quelle mesure les allégations des informateurs avaient été confirmées de manière indépendante.

Comme c’est une pratique courante, la journaliste du «Times» avait envoyé une lettre au porte-parole de M. López Obrador demandant les commentaires du président sur cette affaire avant la publication de l’article, et avait inclus son numéro de téléphone comme moyen de la contacter.

Lors de son point de presse quotidien ce jour-là, le président a affiché la lettre sur un grand écran et l’a lue à haute voix, y compris son numéro de téléphone.

Dans une déclaration publiée sur X, le New York Times a écrit: «Il s’agit d’une tactique troublante et inacceptable de la part d’un leader mondial à une époque où les menaces contre les journalistes se multiplient.»

Interrogée sur la question vendredi lors d’un point de presse à la Maison-Blanche, la porte-parole Karine Jean-Pierre a déclaré: «ce n’est évidemment pas quelque chose que nous soutenons».

«Il est important que la presse puisse parler librement des questions qui intéressent le peuple américain et de manière à ce que, évidemment, vous vous sentiez tous en sécurité et de manière à ne pas être harcelé ou attaqué. C’est, vous savez, c’est quelque chose que nous rejetterons évidemment», a-t-elle appuyé.

Une relation conflictuelle avec les médias

L’Institut national de transparence pour l’accès à l’information et la protection des données personnelles, l’agence mexicaine chargée de faire respecter les lois sur les données personnelles, a annoncé jeudi l’ouverture d’une enquête sur les actions du président.

Le directeur de l’institut, Adrián Alcalá, a écrit sur ses réseaux sociaux que «tous les fonctionnaires doivent obéir à la loi et à la Constitution, absolument personne n’est au-dessus d’eux».

«Il est regrettable que le président ne soit pas conscient de la gravité de la divulgation du numéro de téléphone de quiconque, en particulier celui d’un journaliste», a écrit M. Alcalá. Il a noté que s’il s’avère que le président a violé la loi, il pourrait être condamné à des amendes.

On ne sait pas exactement dans quelle mesure cela aurait un effet dissuasif. M. López Obrador a critiqué à plusieurs reprises l’institut et a proposé de le supprimer.

Leopoldo Maldonado, du groupe pour la liberté de la presse Article 19, a martelé: «De toute évidence, il le fait avec l’intention d’entraver le travail des journalistes et d’essayer d’empêcher la publication de questions d’intérêt public concernant son administration et son entourage.»

«C’est quelque chose que le président a déjà fait», a rappelé M. Maldonado.