« Je me souviens » et pourtant…

Nous avons beau avoir comme devise au Québec la mention : « Je me souviens », mais force est d’admettre qu’il nous est très facile d’oublier des pans importants de notre histoire. 

Le regretté joueur du Canadien Jean Béliveau a la chance d’avoir une statue dans un parc à Victoriaville, en plus d’avoir un aréna à son nom. Pourtant, une illustre personnalité qui a grandement contribué à l’image de Victoriaville, qui lui a longtemps donné le nom de capitale du meuble au Canada, qui a fait vivre des milliers de travailleurs et qui a façonné en grande partie l’image de Victoriaville, nous hésitons à peine à lui attribuer le nom d’une petite rue du centre-ville. Il est dommage que nous n’ayons aucun devoir de mémoire à l’égard d’un grand homme, un visionnaire en plus d’être maire et député provincial.

J’ai entrepris, il y a quelques années, une vaste recherche sur un grand personnage du début du siècle à Victoriaville. Ce personnage a beaucoup contribué à l’image de la ville, à son essor économique et à son histoire politique. En effet, Paul Tourigny fut au début des années 1900 un important développeur économique. Pour simple rappel, il fut largement impliqué dans le développement des industries du meuble à titre de président pour plusieurs d’entre elles. Il était également propriétaire d’un gros magasin général, d’un magasin de meuble, d’une briqueterie, d’une usine à cigare, d’une entreprise de confection de balais. En compagnie d’un associé, il était coactionnaire d’une grosse entreprise de confection de chaussures à Québec qui procurait de l’emploi à plus de 500 travailleurs. Nous le retrouvions également dans le domaine du textile avec la Victoria Clothing, les usines de chaussure comme la Victoriaville Shoe et l’Arthabaska Shoe qui faisait vivre plus de 430 ouvriers. Il cumulait plusieurs investissements dans des usines de meuble à Warwick et Princeville, l’industrie du téléphone en région, le domaine des assurances, les équipements aratoires.

En somme, il était dans le domaine financier avec les assurances, le développement immobilier, le commerce au détail, la grande industrie, les services publics (téléphone), l’agroalimentaire (beurrerie et fromagerie), le tourisme (hôtel) et finalement l’agriculture, puisqu’il était également propriétaire de plusieurs  grandes fermes. Il touchait à beaucoup de secteurs d’activité économique.

Dans une conférence prononcée le 6 février 2011, Jacques Brière mentionnait que Paul Tourigny s’était procuré au début des années 1900 de vastes terres que les Sœurs de Québec et les Barons de l’industrie du bois s’étaient départis devant les Plaines d’Abraham, et que celui-ci a par la suite vendu tous les terrains, contribuant grandement à sa fortune. Il fut également président de la compagnie immobilière Parc Victoria qui comprenait 1600 lots vendus à ceux qui voulaient se bâtir près du centre-ville.

À la suite de tout cela, il nous est facile de constater l’énorme pouvoir que pouvait disposer Paul Tourigny, tant au niveau politique qu’économique et sociale. Son influence était tellement grande qu’il était alors tout à fait normal de le retrouver dans pratiquement toutes les sphères de la société. 

Parmi ses temps libres, il fut également maire de Victoriaville de 1892 à 1897, de 1900 à 1905 et finalement de 1906 à 1911. Avant tout cela, il fut conseiller municipal en 1885. Fait rare à souligner, il fut également député libéral d’Arthabaska de 1900 à 1916, en plus d’être maire de la ville. Au sein de sa collectivité, il fut parmi les membres fondateurs du Club Chalet des Cèdres et président fondateur de la Chambre de commerce.

Nous sommes donc en mesure de voir que, de par ses multiples implications financières diverses, les entreprises de Paul Tourigny eurent une influence directe sur près de 2000 travailleurs, ce qui représente pour l’époque un poids énorme en termes de responsabilités et d’influence pour une ville comme Victoriaville. Tout cela, c’est sans compter le nombre de travailleurs dans son magasin général, son magasin de meubles et ses multiples fermes agricoles. Nous sommes ainsi en mesure d’affirmer qu’une grande partie des travailleurs de Victoriaville étaient de ce fait redevables aux multiples investissements de Paul Tourigny dans son milieu. Faut-il le rappeler que ses participations financières étaient en grande partie concentrées au niveau régional, principalement à Victoriaville et quelques-unes à Warwick, Princeville et Saint-Valère. À notre connaissance, la seule exception à la règle fut son implication financière dans l’industrie du cuir de Québec.

Je trouve dommage qu’un grand bâtisseur de Victoriaville ne soit aussi peu reconnu par son milieu. Il m’apparaît normal d’être fier des gens de notre milieu, de rendre hommage à des gens comme l’aréna Jean Béliveau, l’aéroport André Fortin, le parc industriel F.E. Alain. Je pense sérieusement que nous nous devons d’y penser et de voir à réparer cet oubli important de notre passé.

J’interpelle de ce fait nos élus, nos représentants économiques, nos leaders à tenter de voir comment nous pourrions réparer cette lacune majeure de notre histoire, à moins que collectivement, nous souffrions de cette terrible maladie qu’est l’oubli de notre passé.

François Morneau

Victoriaville