Difficile décision pour le CA du Cégep

Devant de nombreux étudiants, enseignants et représentants du campus montréalais, le conseil d’administration du Cégep de Victoriaville a approuvé majoritairement, à 15 voix contre 2, la fermeture en 2027 du pavillon de l’École nationale du meuble et de l’ébénisterie de l’avenue De Lorimier à Montréal pour centraliser toutes ses activités dans ses installations de Victoriaville.

La décision a été communiquée à l’équipe montréalaise plus tôt dans la journée. « La rencontre n’a pas été facile. Elle a créé beaucoup de chocs et d’émotions auprès de l’équipe », a souligné le directeur général du Cégep, Denis Deschamps. Cette décision difficile était nécessaire, selon lui, notant que ce dossier se travaille depuis plus de trois ans et demi. « La fermeture n’était pas notre premier choix, mais malheureusement, plusieurs éléments nous ont amenés à réfléchir à cette option », a-t-il confié, tout en évoquant des enjeux de fonctionnement, d’immobilisations, d’appareillage et d’outillage. 

Le directeur général a aussi fait valoir le déclin de la population étudiante au campus montréalais depuis 20 ans. De 134 étudiants en 2002, le pavillon en dénombre actuellement 72. « Depuis 20 ans, la décroissance suit une pente lente et graduelle et on n’avait pas de possibilité de se développer autrement que par ce programme unique à Montréal. Il n’y avait pas d’autres possibilités. 

On a regardé pour la location des espaces vacants dans l’immeuble, mais malheureusement, la location ne permettait pas de combler notre manque à gagner de 500 000 $ que nous avons à Montréal et qui risque d’atteindre les trois quarts de million », a soutenu Denis Deschamps. La décision d’une centralisation s’est imposée après analyse de l’ensemble du dossier. « On a donc opté pour regrouper l’ensemble de nos activités à Victoriaville et d’avoir ainsi une offre beaucoup plus forte, plus en synergie, toujours bien adaptée aux besoins de la main-d’œuvre et qui nous permet de travailler sur un seul lieu de formation. Tout comme les autres écoles nationales du réseau collégial », a-t-il observé.

Le pavillon montréalais accueillera donc sa toute dernière cohorte à l’automne 2024. Puis, en 2027, la formation sera dispensée à Victoriaville où aucun réaménagement ne sera nécessaire. « Nous sommes en mesure d’accueillir toute la population étudiante actuelle de Montréal », a précisé Denis Deschamps, conscient de l’impact de la décision sur les humains, ce qui la rend difficile. « Ce sont nos employés et des membres du personnel qu’on apprécie beaucoup. À Montréal, des gens auront potentiellement à faire un choix, s’ils ont goût de continuer leur carrière à Victoriaville. »

Une pétition

Avant même l’ouverture de la séance du conseil d’administration, Silvie Lemelin, enseignante au Cégep, a procédé à la lecture d’une pétition signée par 3460 personnes. « Plusieurs personnes seront affectées par le rapatriement des activités au campus de Victoriaville, a-t-elle souligné. Les impacts toucheront d’abord le personnel enseignant, le personnel de soutien scolaire et professionnel qui y travaille. Cela affectera plus largement le secteur du meuble sachant que l’école forme des personnes qualifiées et créatives capables de répondre aux besoins du marché et de contribuer à l’innovation. » 

Elle a dénoncé des raisons qui apparaissent « essentiellement économiques » tout en mettant de côté les conséquences humaines. « J’ai vu des gens pleurer ce matin », a-t-elle affirmé, ajoutant qu’une telle décision « fait complètement fi du rôle fondamental de l’éducation. » Tout en déplorant que plusieurs solutions aient été proposées sans être retenues, Silvie Lemelin a fait valoir que rien n’indique une urgence d’agir quant à la fermeture de l’école montréalaise. « C’est pourquoi, nous vous demandons de prendre la décision de trouver des solutions afin de préserver l’école du meuble de Montréal et de la soutenir », a-t-elle terminé, signalant au passage que le Cégep se priverait d’une institution unique et indispensable en mettant fin au campus de Montréal implanté en 1995.

Un finissant, Arthur, est aussi de cet avis. « On pense que Montréal est une vitrine incroyable pour le DEC de Victoriaville et ce serait une erreur monumentale de s’en priver », a-t-il soutenu. « Nous sommes venus avec un esprit d’ouverture parce qu’on veut faire partie de la solution, a-t-il continué. On est là pour essayer de défendre notre école, défendre cette communauté qu’on a bâtie. »

Arthur a qualifié la décision d’irréaliste et d’irrecevable. Et il ne faut pas compter, selon lui, sur le transfert d’élèves de Montréal vers Victoriaville. « Nous sommes très peu nombreux à nous dire qu’on fera l’effort de venir à Victoriaville pour suivre ce programme. » Pour sa part, un autre étudiant, Thomas, a confié avoir été peu informé sur ce dossier. « Nous sommes environ 80 étudiants prêts à se mobiliser et à militer pour sauver cette école. » De son côté, un délégué syndical et enseignant a réclamé plus de temps. « Qu’est-ce qui presse à vouloir vendre une bâtisse, sans donner le temps à une équipe de Montréal, à une équipe économique, une équipe culturelle, une équipe humaine, de trouver un plan? »

Une enseignante d’anglais, contrainte de commencer à Montréal pour travailler, souhaite y demeurer. « Je demande par choix de retourner à Montréal. L’expérience d’enseignement y est incroyable, on a de beaux échanges, les élèves sont merveilleux, j’aime beaucoup mon travail », a-t-elle fait valoir. 

L’enseignant Mathieu Pellerin, quant à lui, a adressé une série de questions aux membres du CA du Cégep. « Car pour prendre une décision éclairée, il faut avoir réponse aux questions », a-t-il dit.

« Est-ce le mandat d’une école nationale de restreindre l’offre en ébénisterie? Est-ce bien votre rôle comme conseil d’administration de fermer un programme éducatif en ébénisterie? Je n’ai pas l’impression que le tour de la question a été fait », a-t-il lancé, estimant qu’il s’agit ici de la faillite du plan de développement de la direction. « Le pavillon de Montréal fait les frais de choix de gestion questionnables. On croit que la direction n’a pas retourné toutes les pierres, s’en tenant à une vision comptable, a-t-il énoncé.  Et les conséquences? Croyez-vous que cette fermeture vous fera une bonne publicité? Croyez-vous que le rayonnement de l’école sera meilleur sans son antenne à Montréal? », a-t-il questionné.

« On a récolté, a-t-il poursuivi, une cinquantaine d’entreprises locales qui souhaitent maintenir l’école à Montréal pour la relève de leurs entreprises. Les étudiants, est-ce qu’ils vont bouger de Montréal vers Victoriaville? Cette décision n’aura-t-elle pas l’effet contraire, soit de fragiliser votre école? » Étant d’avis que le temps n’est pas si compté, Mathieu Pellerin a rappelé la

recommandation unanime du corps enseignant de Montréal : reporter le vote d’aujourd’hui (19 février).

« Comme administrateurs vous avez le pouvoir, vous pouvez prendre la parole, examiner les recommandations que pourrait faire un comité de travail paritaire et offrir des solutions pour éviter de fermer une école. Utilisez votre pouvoir, demandez le vote, demandez des comptes à votre direction, a-t-il invité. Tant que le CA n’entérine pas cette décision, notre école n’est pas encore enterrée vivante. » Malgré les représentations faites, malgré des affiches « C’est nous que tu coupes » ou encore « Laissez-nous le temps de se mobiliser », les membres du CA ont tranché lors d’un vote secret et la décision a été prise. « Dégueulasse » et « Merci de tuer notre domaine », a-t-on pu entendre chez quelques-uns qui ont promptement quitté la salle de groupement où se tenait la séance.