Une croix à vie sur les «huttes» de sudation
DRUMMONDVILLE. Accusée de négligence criminelle lors de la «hutte» de sudation ayant causé la mort de Chantal Lavigne, la formatrice Gabrielle Fréchette a subi un contre-interrogatoire musclé au procès qui se poursuivait mardi au palais de justice de Drummondville.
Me Magali Bernier a questionné Mme Fréchette à propos des spécialistes avec qui elle a suivi des formations. Résultat : peu d’entre eux détenaient des diplômes reconnus. «Je ne crois pas qu’il puisse y avoir une université pour nous apprendre à gérer nos vies et émotions», a-t-elle laissé tomber, avec un petit rire sarcastique.
Quant au chaman Patrick Dacquay, qui lui aurait montré les rudiments des «huttes» de sudation, aucun des modèles qu’il suggérait ne correspondait à celle expérimentée à Durham-Sud, le 28 juillet 2011. Concrètement, Me Bernier a demandé si les «huttes» de M. Dacquay proposaient aux participants de se couvrir de terre, de s’enrouler dans une pellicule de plastique, de s’allonger au sol, de se mettre une boîte sur la tête et de la couvrir (ainsi que la totalité du corps) de douillettes. À chacun de ces aspects, Mme Fréchette a été forcée de répondre par la négative.
Manque de rigueur?
Quant aux consignes sur l’hydratation, le repos et la nourriture légère, elles auraient été données la vieille de la «hutte», et ce, sans aucune précision puisque Mme Fréchette estimait que les participants étaient déjà bien au fait des précautions à prendre.
Lorsque l’heure de l’activité a sonné, le 28 juillet, vers 15 h 30, elle n’a pas non plus questionné les neuf personnes, à savoir si elles étaient bien hydratées et reposées, sinon qu’en leur demandant si elles étaient prêtes à vivre la «hutte».
Côté santé, Mme Fréchette affirme avoir déjà discuté avec chacun d’eux à propos de leur condition physique. Aucune note n’a été conservée à cet effet. Le mot d’ordre était, selon elle, de l’informer si des changements survenaient.
Une guide et deux assistants
Une fois que les participants avaient pris place dans leur «hutte» respective, vers 17 h, Gabrielle Fréchette s’installait dans son fauteuil, habitée par l’énergie de Melkisédeck. «Je me dégage de qui je suis pour laisser place à cet esprit pur», a expliqué celle qui jouit d’un taux vibratoire élevé.
Selon la responsable, la présence de Melkisédeck ne l’a pas empêchée, avec ses assistants Ginette Duclos et Gérald Fontaine, d’observer les cris, les respirations et les mouvements des participants, même s’ils étaient totalement recouverts. Lors de l’exercice, il semblerait que Chantal Lavigne aurait d’ailleurs beaucoup jasé.
Une participante quitte la pièce
Parmi les neuf personnes qui prenaient part à la «hutte» de sudation à la fermette de Durham-Sud, Paule a été la première à mettre un terme à sa participation, après la guidance portant sur la respiration consciente. «Elle est sortie de son cocon. Ginette est allée la voir et lui a dit que c’était ok. Elle a quitté la pièce», a exposé Gabrielle Fréchette. Il était probablement dépassé 21 h, soit 4 heures après le début de la séance.
Un peu plus tard, ce fut au tour de Julie Théberge de sortir de la «hutte». Elle s’est installée sur le dessus des couvertures et s’est endormie. «Quand le deuxième sort, on double de vigilance», a expliqué la formatrice.
Vers minuit, une autre personne s’est retirée de sa «hutte». Il s’agissait donc du signal à l’effet qu’il était temps de mettre fin à l’expérience.
Les premiers signaux d’alarme
Les trois responsables ont commencé à enlever les couvertures au-dessus des participants. C’est à ce moment que Julie Théberge a vomi et déféqué dans la salle. «Je n’avais jamais vu ça pendant une «hutte», a commenté Mme Fréchette, qui lui a demandé si elle allait bien.
Comme elle a acquiescé et que Gérald Fontaine veillait sur elle, Mme Fréchette a continué de «désabrier» les autres. «Vous trouvez ça normal?», insistait Me Bernier.
Au dire de Mme Fréchette, le fait que certaines personnes ont eu des nausées est davantage attribuable à l’odeur désagréable qui empestait soudainement la grande salle, où il faisait chaud et humide.
Chantal Lavigne était consciente
Pour sa part, Chantal Lavigne semblait comme d’habitude, de commenter Mme Fréchette. Après la «hutte», elle s’est mouchée. «Elle se parlait à elle-même à très haute voix. Elle s’obstinait avec son propre ego, en disant par exemple, toi, mon orgueil tu ne m’auras pas. Pour les autres participants, ça pouvait même paraître rigolo», a soutenu Mme Fréchette.
Selon cette dernière, Mme Lavigne affichait un air de béatitude, de satisfaction. Elle avait coutume d’aller très en profondeur dans ses introspections, pouvant rester une bonne heure dans cet état méditatif.
«Il n’y avait aucun signe de sa part qui pouvait laisser croire à un malaise. Tout semblait ok», a relaté Mme Fréchette.
Les appels d’urgence
C’est plutôt la main crispée et courbée de Julie Théberge qui a attiré son attention. «Quand j’ai appelé le 811, c’est Julie qui m’inquiétait», a-t-elle lancé. La suite est connue : l’infirmière lui a suggéré d’appeler immédiatement le 911. Mme Fréchette, qui n’a aucune formation médicale, s’est exécutée. Entre-temps, Ginette Duclos est venue l’informer que «Chantal ne revenait pas».
De fait, la jeune femme ne répondait plus. Voilà ce qui a motivé le deuxième appel d’urgence.
Les gens ont attendu une bonne demi-heure avant l’arrivée des ambulanciers, qui semblaient chercher la résidence. «On faisait «flasher» les lumières pour qu’ils nous voient. Ginette est allée jusqu’au chemin», a raconté la responsable, qui a sombré dans une profonde dépression à la suite du drame.
Lors de son témoignage, la dame de 56 ans n’a pas clairement exprimé de remords ou de regrets par rapport aux événements qui se sont déroulés. Elle a tout de même indiqué qu’elle n’avait pas organisé de «huttes» de sudation depuis le 29 juillet 2011 et qu’elle n’en fera jamais plus.
La question épineuse de l’argent
Toute la question concernant les sommes d’argent que Gabrielle Fréchette recueillait comme formatrice est également restée nébuleuse.
Si le Centre de transition qu’elle gérait à Sainte-Hélène-de-Chester a fait faillite en 2007, la dame affirme avoir des revenus annuels de 25 000 $ ou moins par année depuis ce temps. Pourtant, au séminaire «Mourir en conscience», il coûtait 1 500 $ par participant, à part les frais de nourriture et d’hébergement. Soustrayant le salaire versé à Gérald Fontaine, Gabrielle Fréchette a donc confirmé les calculs de l’avocate de la Couronne, à l’effet qu’elle avait encaissé 12 000 $ pour sa formation de 14 jours. À ce montant, il faut néanmoins déduire des dépenses et du temps de préparation et de suivi, a justifié cette résidente de Danville.