Transgenre : apprendre à vivre la différence de son enfant

Geneviève n’est pas son vrai nom, mais elle l’emprunte aujourd’hui pour partager son histoire, celle d’une mère qui a dû faire le deuil d’un fils, épauler sa fille et découvrir les tenants et aboutissants de la réalité transgenre. Un processus qui s’étend sur plusieurs années, qui se poursuit, et qu’elle n’aurait pu mener à bien sans le concours essentiel de plusieurs organismes.

«Tout le monde n’y est pas préparé. Moi, je ne savais même pas que ça existait, transgenre, jusqu’à ce que mon enfant affirme ne pas être né dans le bon corps. J’ai fait des recherches et je suis tombée sur ce mot-là», commence-t-elle.
De fait, tout-petit, Loïc (nom fictif) préfère les objets habituellement destinés aux filles. À 4 ans, lui-même comprend déjà sa différence. «Elle, j’emploie « elle » puisque c’est complètement intégré pour moi, voulait une Barbie et ç’a été tout un combat avec son père pour lui offrir, à cause des stéréotypes que cette poupée véhicule. À ce moment, je pensais qu’elle serait peut-être gaie», raconte-t-elle.

Bien des années plus tard, en 2016, la famille écoute l’émission Tout le monde en parle. Parmi les invités, Alexis Comte et Khloé Dubé, venus parler de leur participation à la série documentaire Je suis trans. «Ç’a été la chercher énormément et on découvrait cette réalité en même temps. Dans les temps qui ont suivi, elle m’a écrit sur un bout de papier qu’elle souhaitait devenir une fille. Je n’y étais pas préparée et je ne savais pas quoi faire avec ça», confie-t-elle. Quelques recherches sur Internet conduisent Geneviève vers l’organisme Enfants transgenres Canada (ETC) et elle intègre un groupe de parents qui vivent la même situation qu’elle.

«On se demande si c’est juste une passe, si elle est certaine de ce choix. Des questions, on en a des tonnes au début», se rappelle la mère. Loïc entame à 10 ans sa marche vers une réappropriation de son corps, en commençant par rencontrer des intervenants. Bientôt, elle devient officiellement Leila (autre nom fictif).

Transition

En consultant son médecin de famille, Geneviève trouve la voie vers une clinique spécialisée. Son enfant se retrouve alors sur une liste d’attente pendant quelques mois.

Les étapes menant au changement ultime s’avèrent nombreuses. D’abord, il y a l’accueil familial et amical, puis la transition sociale complète. «Une amie m’a donné des vêtements, puis je lui ai permis de laisser pousser ses cheveux», dit-elle. Ensemble, elles décorent la chambre de sa fille. «Dès qu’elle arrivait de l’école, elle entrait dans son monde et se transformait», se souvient-elle.

La rencontre avec les spécialistes amène la prise d’un bloqueur d’hormones. «Ça freine la puberté masculine, mais tout au long du processus, elle était suivie par un pédopsychiatre. À ce stade, il y a toujours moyen de tout arrêter et que la croissance reprenne son cours», explique Geneviève. Cette période, qui dans leur cas s’échelonne sur un an, valide ou non la décision identitaire.

Leila passe à l’étape suivante en entamant la thérapie hormonale qui, entre autres, adoucit la peau et stimule le développement des seins. Une chirurgie de réattribution sexuelle n’est pas envisageable avant l’âge de 18 ans. Leila n’a que 13 ans actuellement.

Tout ce cheminement, Geneviève y participe pour le bien-être de son enfant. «Elle en avait besoin pour être heureuse et je n’avais pas le choix de suivre. Le plus difficile pour moi a été le changement de nom. Quand tu choisis un prénom pour ton enfant, tu penses qu’il le portera toute sa vie», témoigne-t-elle. Il lui aura fallu également beaucoup de temps pour se résigner à retirer les photos de la petite enfance de Loïc des murs de sa maison. Mais elle croit que c’était la chose à faire afin d’éviter les questions des visiteurs. «Loïc n’est pas mort, mais c’est un deuil que je dois faire de mon garçon, car maintenant c’est Leila», relativise-t-elle.

Soutien

Pour un jeune transgenre, l’appui des parents constitue un levier de taille dans sa démarche d’affirmation. Cela fait toute la différence entre le repli sur soi et l’épanouissement. Dans le cas de la famille de Leila, l’annonce de la nouvelle aux proches se fait de vive voix, tandis que ceux plus éloignés reçoivent une vidéo d’une vingtaine de minutes produite par Geneviève. Cette courroie de transmission, qui sert à de nombreuses occasions, contient une rétrospective en photos de la vie de Loïc et Leila, ainsi que des informations sur ce que signifie être transgenre. «Cette vidéo a été présentée au papa pour qu’il sache et se renseigne. À plusieurs reprises, je l’ai invité à se joindre aux rendez-vous à Sainte-Justine. Il a fait beaucoup de progrès. Je crois qu’en date d’aujourd’hui, il a accepté», confie Geneviève, au sujet de son ancien conjoint avec qui elle n’a que peu de contacts depuis plusieurs années.

Parmi les premiers informés, et pour qui la nouvelle est plus éprouvante, le petit frère âgé de 7 ans à ce moment. Pour lui, cela représente la perte d’un frère chéri. Toutefois, le temps estompe la blessure et met en lumière les nouveaux acquis familiaux.

Intégration scolaire

La rentrée scolaire 2017, alors que Leila amorce sa cinquième année, constitue l’occasion choisie pour procéder au passage public d’une identité sexuelle à l’autre. À nouveau, ETC prête main-forte à la famille et, avec l’accord de la direction de son école, offre une formation à tout le personnel de l’établissement, corps enseignant et éducateurs en service de garde inclus. «Ça les a préparés à comment bien accueillir Leila, alors qu’ils l’avaient tous connue en tant que petit garçon», précise Geneviève. Les amies de Leila s’avèrent déjà au courant de ses projets, de son secret. La mère, de son côté, prend l’initiative d’aviser leurs parents, question que sa fille ressente la solidarité des siens à son premier matin vêtue d’une robe à l’école.

En outre, lors des trois premiers jours de cette rentrée, des intervenants d’ETC rencontrent les élèves de toutes les classes, de la troisième année à la sixième année. L’intégration scolaire, qui représentait un des défis de taille pour Geneviève, se révèle plutôt facile en fin de compte. Elle qualifie son école de Victoriaville de très ouverte, d’autant plus qu’il s’agissait d’un premier cas du genre dans l’établissement.

Désormais inscrite en tant que fillette, Leila y fréquente les installations qui leur sont destinées. «Bien sûr, je dois faire approuver certaines choses par les autres parents. Mais Leila reste très discrète, va dans une cabine fermée au vestiaire, par exemple. À l’école, elle doit respecter un protocole», partage la mère.

Le chemin parcouru au cours des dernières années demeure de la plus haute importance. Or, certaines craintes émergent à l’horizon, notamment en ce qui concerne le passage à l’école secondaire et l’adolescence en général. «Les histoires d’amour commencent au secondaire et j’ai peur qu’elle vive plus d’intimidation qu’au primaire. Mais je ne peux pas la mettre dans une bulle. Elle devra mener ses combats et bien s’affirmer en tant que qui elle est», envisage Geneviève.

Le soutien psychologique reçu à Montréal lui apparaît toujours essentiel. Les heures de transport n’empêchent pas la famille d’y accéder chaque mois, d’autant plus que les ressources victoriavilloises restent limitées. D’ailleurs, plusieurs cas similaires existent bel et bien dans la région, mais Geneviève garde l’impression d’avoir été une pionnière partout où elle est passée, en particulier au vu des questions posées par les professionnels de la santé d’ici.