Robert Carrier pose un regard… critique sur le chantier

VICTORIAVILLE. Tous les matins, l’ancien propriétaire du disparu cinéma Laurier, Robert Carrier, emprunte le même chemin entre son logis de la rue du Manège et le Luxor où il déjeune quotidiennement. Déjeune et dîne à la fois selon l’heure à laquelle il se lève. Tous les jours, il fait un détour pour saluer Denise Mailhot, celle qui tient désormais le guichet de Diffusion Momentum. Mme Mailhot a travaillé pendant près de 25 ans pour et avec M. Carrier.

Tous les jours, sur son chemin, il aurait pu voir la lente démolition du bâtiment où il passé le plus clair de son temps, pendant près de 53 ans.

Mais il se refusait à attarder son regard du côté du chantier de démolition.

Parce que, dit-il sans ambages, il trouvait «dégueulasse et illogique de faire disparaître des salles bien équipées, qui répondaient aux besoins. Ça me faisait mal au cœur qu’on démolisse des salles de cinéma confortables. Ce n’était tout de même pas de la cochonnerie!», s’exclame-t-il.

Que l’on soutienne que la grande salle de spectacles ne convenait pas aux besoins professionnels, Robert Carrier dit que cycliquement, c’est toujours ce qu’on dit d’une salle de spectacles. «Elle n’est jamais correcte. Moi, je dis qu’une salle ne va pas bien quand les artistes ne veulent pas travailler avec toi. On trouvait toujours les moyens de s’arranger», dit encore M. Carrier.

Pas de déclin, mais pas de relève

Il se défend d’être nostalgique, lui qui affirme qu’est révolue l’ère des grandes vedettes et que ce ne sont pas des émissions comme La Voix qui généreront des gros noms comme ceux de Léveillée, Vigneault, Leyrac. Même constat du côté européen, observe-t-il, il n’y a pas de relève.

Sans parler d’un «déclin» de l’industrie du spectacle, il y a un «ralentissement», estime-t-il, et l’auditoire se fragmente.

Il porte le même jugement du côté du cinéma où environ 60% des films sont des reprises, croit-il. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, pourrait rivaliser avec des films comme «Madame X», «Docteur Jivago», «Un coin de ciel bleu» ou «Le mirage de la vie»?, demande-t-il.

«Ce n’est pas que de vouloir vivre dans le passé, mais dans la beauté, répond-il. J’aimais ces films qui racontaient des histoires avec de beaux personnages et de vrais sentiments. Qui vivaient des aventures, des mésaventures, des péripéties, une vie qui aurait pu être la nôtre ou celle de son voisin. Des films qui nous tirent une larme.» Aujourd’hui, M. Carrier admet éprouver tout au moins un frisson lorsqu’il remet un vieux film à son petit écran.

Depuis qu’il a quitté le cinéma Laurier – en juin 2012 -, M. Carrier dit s’être rendu trois fois au Galaxy. «Et trois fois on a démoli New York. Tout est catastrophe et démolition!»

Tous les jours, Robert Carrier longe la rue Perreault… et la haute palissade masquant désormais le chantier de construction du futur lieu de diffusion culturelle. Il va manger au Luxor et revient vers chez lui, s’installe sur un banc et jase avec ceux et celles qui le reconnaissent et qui aiment échanger des souvenirs.

Il n’écrirait pas son autobiographie, mais il est toujours prêt à parler du temps du Laurier, à raconter des grands pans de sa vie, sachant que tout le monde connaît Monsieur Carrier, mais que bien peu savent qui est Robert. Et il se met à fredonner les premières phrases de la chanson de Gloria Lasso «Mon histoire, c’est l’histoire que l’on connaît, celle qui fait rire et pleurer».

Il dit qu’au Laurier, sa vie était comme du cinéma. «Il n’y a que moi qui a pu vivre ce que j’ai vécu», dit-il avec le sourire, se souvenant de spectateurs évanouis à la suite de la présentation du film «L’exorciste» ou d’un autre montrant un accouchement.

Et il se remémore sa voiture qui avait rouillé, ensevelie sous la neige pendant tout le temps des représentations très courues du film «Le Titanic». «On ne verrait plus ces longues files d’attente aujourd’hui, partant du cinéma jusqu’au Régent (La Manne aujourd’hui)!»

Et il raconte son enfance, né à Dosquet, quatrième d’une famille de huit enfants (deux lits), son père mort de tuberculose dans un hôpital de Québec. «J’avais quatre ou cinq ans. J’étais allé le voir à l’hôpital avec ma mère. Avant de le quitter, j’avais entrouvert la porte pour le regarder et, de son lit, il m’avait soufflé un baiser. C’est la dernière image que j’ai de lui…»

Il raconte aussi comment, de tout temps, il s’est trouvé au bon endroit et au bon moment et se souvient du premier film qu’il a vu, «Le corsaire rouge». Dès la première séquence, il avait eu l’impression que c’est à lui personnellement que Burt Lancaster s’adressait. Il était adolescent, arrivait de Lyster avec sa famille et avait du rattrapage cinématographique à faire.

Il répétera les paroles de sa chanson préférée, celle d’Édith Piaf qui chante «Non, je ne regrette rien» de sa vie, de l’amour qu’il a eu pour le cinéma, le spectacle, le hockey, le baseball, sports pour lesquels il entraînait des jeunes.

À 72 ans, à pied ou en taxi, il dit vivre la vie qu’il n’a pu mener avant que le travail ne l’accapare – un travail qu’il a choisi et qu’il adorait! – ne ratant pas une partie des Tigres, appréciant toujours un match de baseball.

Prêt à grimper un escalier de fortune pour jeter un œil obligé aux fondations du futur lieu de diffusion culturelle derrière PixM, il s’exclame : «Méchant chantier!».

Il ne partage pas l’optimisme de ceux qui croient que le futur complexe servira à revitaliser le centre-ville où se multiplient les aires désaffectées, les vitrines désertes. Il faut de l’animation, croit-il. «Victoriaville, ça reste une petite ville», ajoute-t-il. Il promet qu’il ne boudera pas le nouveau centre de diffusion… si Diffusion Momentum met à sa programmation un spectacle qui l’allèche.

Quelques dates

1941

Naissance, le 23 octobre, de Robert Carrier à Dosquet. Avec sa famille, il s’installe à Victoriaville, son frère Adrien s’étant trouvé un emploi dans l’usine de cercueils de la rue Arcand.

1947

Le cinéma Laurier ouvre ses portes à Victoriaville, propriété de Charles Magnan.

1959

Après avoir occupé quelques emplois aux épiceries JP Hamel de la rue Monfette et chez Onil Grenier rue Campagna, Robert Carrier fait son entrée au cinéma Laurier, devenu, deux ans plus tôt, propriété de Paul Gendron. M. Carrier est entré dans l’entreprise par la marquise pourrait-on dire, occupant diverses fonctions. De placier à actionnaire en 1967, il a aussi travaillé au comptoir restaurant et comme projectionniste.

1987

M. Carrier devient l’unique propriétaire du cinéma Laurier. Il dit que son travail aurait été «plate» s’il n’avait eu qu’à projeter des films. C’est parce qu’il y avait toute une variété de spectacles, des samedis pour les enfants, des projections pour les dames en après-midi, que sa vie a été si heureuse. Et si on a déjà dit du public victoriavillois qu’il était «froid», Robert Carrier soutient plutôt qu’il était sélectif et critique.

2012

L’âge et une santé déclinante l’ont incité à vendre son immeuble à la Ville de Victoriaville. Et, parce que, dit-il, il ne pouvait plus se battre contre plus gros que lui.