Opinion : La privatisation tranquille du milieu communautaire au Québec 

Sans tambour ni trompette, quelques grandes fondations privées s’immiscent progressivement au sein des organismes communautaires du Québec. Exténués par des années de pandémie et par le sous-financement chronique, plusieurs organismes croient percevoir dans l’arrivée de ces mégas-fondations (dites « philanthropiques ») une solution à leurs maux les plus pressants. 

Ainsi, sans trop de réflexion et souvent en désespoir de cause, le milieu communautaire québécois se tourne de plus en plus vers de très grosses fondations privées afin de signer des ententes et améliorer leur financement à court terme. Malheureusement, cette situation pose un risque majeur pour l’autonomie des organismes concernés et favorise la privatisation tranquille du milieu communautaire au Québec. Quels seront les impacts de cette privatisation sur notre population? Personne ne le sait, car aucune étude sérieuse n’a été produite jusqu’à maintenant. 

Pouvons-nous compter sur le gouvernement du Québec afin de bien planifier cette transformation du milieu communautaire et préserver l’autonomie qui lui est si chère? Rien n’est moins sûr, car madame Rouleau – la nouvelle ministre responsable du communautaire – semble avoir un parti pris très assumé : le financement futur de l’action communautaire autonome passe inévitablement par les fondations privées et son discours ne laisse présager aucune autre option. 

Dès lors, l’observateur attentif y détectera un désir de plus en plus avoué de procéder à « l’américanisation » du financement des organismes communautaires au Québec. Comme aux États-Unis, l’État québécois veut se désengager de ce qui est une part importante de notre filet social, le tout pour faire l’économie de quelques bouts de chandelles et laisser le terrain libre aux fondations privées afin de « gérer la pauvreté et le communautaire ». 

Le malaise est d’autant plus grand lorsque l’on constate que certaines de ces mégas-fondations ne payent pratiquement pas d’impôt au Trésor public et ne contribuent à peu près pas à la société, sinon par certains projets du moment, trop souvent temporaires et eux-mêmes déterminés par un conseil d’administration aux processus décisionnels opaques. 

Il est intéressant de noter que la promotion des mégas-fondations privées comme sources de financement pour le milieu communautaire arrive au moment même où les élus du Québec se votent une juteuse hausse salariale. Cela se déroule aussi alors qu’une part importante de la population s’appauvrit et se tourne de plus en plus vers les organismes de l’action communautaire autonome pour pallier à ses besoins. 

Est-ce le reflet d’une déconnexion croissante entre les élus et la population qu’ils représentent? Seul le temps pourra nous le dire, mais il est certain qu’une part du « courage » nécessaire pour augmenter massivement le salaire des députés de l’Assemblée nationale pourrait être utilisé à bon escient afin de hausser le financement du milieu communautaire et faire payer aux mégas-fondations privées leur juste part d’impôt à la société québécoise. 

François Duguay, coordonnateur de l’Association des groupes d’éducation populaire autonome (AGÉPA) du Centre-du-Québec