Marchés publics : des producteurs dénoncent les iniquités

Se voir refuser l’accès à quatre marchés différents au profit de l’exclusivité d’un même producteur, devoir laisser une partie de ses produits chez soi pour ne pas heurter les ventes d’un autre, attendre des années avant que tombe le «monopole» d’un des membres fondateurs… toutes des frustrations qu’ont vécues des producteurs agricoles en tentant de joindre des marchés publics. Mais aussi toutes des situations qu’ils n’ont pu que dénoncer anonymement, par crainte de représailles d’un milieu aussi mobilisé que fragile et restreint.

Si dans certains pays on accorde à qui le voudra une table au marché public du coin, le Québec a plutôt tendance à sélectionner méticuleusement son offre pour éviter un maximum de concurrence. Mais certains, particulièrement des membres de la relève, sont à se demander où est la ligne entre monopole et cohésion. Et surtout, si les intérêts personnels de producteurs impliqués dans ces organismes à but non lucratif ou ces coopératives n’ont pas tendance à primer, de temps à autre.

«On dirait que c’est dans nos gènes au Québec d’avoir peur de la compétition. Si tu es établi depuis 20 ans et que tu fais 300 000 $ de revenus, tu ne devrais pas avoir peur du petit maraîcher qui fait 10 000 $ par année», raconte une productrice anonyme de fruits, de légumes et de fleurs coupées qui réclame davantage de souplesse dans les marchés publics.

Il y a quelque temps, celle-ci avait réussi à mettre la main sur un kiosque dans un marché public de la région. Mais puisque deux maraîchers s’y partageaient déjà la clientèle depuis longtemps, on lui a interdit de mettre en vente autre chose que des fleurs. «J’ai fini par m’en aller, ce n’était pas rentable, raconte-t-elle. Si j’avais pu vendre autre chose, c’est certain que je serais restée. L’un des deux était même ouvert à vendre une de mes variétés à son kiosque, puisqu’il n’en avait pas, mais l’autre maraîcher, qui est très impliqué dans le marché, est venu me voir et me dire que je n’avais pas le droit. Il en avait déjà.»

Nombreux sont les témoignages de places obtenues «par miracle» dans un marché, après qu’un producteur membre depuis longtemps ait finalement décidé de cesser de produire.

«Il n’y a pas de concurrence» 

Pour un nouvel apiculteur de la région, c’est une interminable chasse aux marchés de Noël qui l’a amené à prendre contact avec La Tribune. À chaque refus, on lui expliquait qu’un producteur de miel avait déjà sa place au marché. Chaque fois, c’était le même.

Le problème est demeuré pour les marchés estivaux : l’entreprise s’était fait promettre par un marché à proximité qu’on lui garderait une place, il y a quelques mois. Mais lorsqu’elle a repris contact, la place avait été attribuée à quelqu’un d’une autre MRC pour une raison inconnue.

«S’il n’y a pas de désistement, on oublie ça, déplore le producteur de miel. Ce sont toujours les mêmes. Les consommateurs ne se rendent pas compte qu’ils n’ont pas de variété. Il y a plein de producteurs différents, mais il n’y a pas de concurrence. Pourquoi dans un marché de métiers d’arts, on aura plein de potiers ou de joailliers différents, mais dans l’alimentaire, on ne le fait pas? On a des nuances et des variétés différentes, nous aussi.»

Le Bureau de la concurrence explique ne pas pouvoir intervenir sur ce genre de contrôle de l’offre sans pouvoir faire l’examen complet de chaque situation. Il estime que «l’abus de position dominante a lieu lorsqu’un joueur dominant empêche ou diminue sensiblement la concurrence en excluant, disciplinant ou restreignant la concurrence dans un marché donné».

«Le simple fait d’être une grande entreprise ou une entreprise dominante n’est pas en soi une source de préoccupation, ajoute-t-on. Les dispositions sur l’abus de position dominante de la Loi sur la concurrence ne visent pas à pénaliser une entreprise qui s’est emparée d’une part dominante du marché.»

La Tribune