L’assurance en agriculture : un privilège?

Alors que plus de 200 incendies se déclarent sur des fermes chaque année au Québec, l’accès à une police d’assurance se fait de plus en plus ardu pour les agriculteurs. L’Union des producteurs agricoles (UPA) se montre particulièrement préoccupée depuis quelques années, voyant que certains assureurs vont jusqu’à abandonner leurs clients à défaut de vouloir prendre un risque.

Les temps difficiles que traverseraient les assureurs ont forcé le recours aux grands moyens. Les plus récents témoignages d’agriculteurs dépourvus ont placé les enjeux d’assurances dans la mire de l’avocate à la direction des affaires juridiques de l’UPA, Marie-Andrée Hotte, qui tente de freiner l’hémorragie.

«On observe des hausses de primes importantes et il y a des producteurs qui ne sont plus assurés pour différentes raisons. Ce n’est pas nécessairement parce qu’ils ont eu beaucoup de sinistres, mais parce que des assureurs ont décidé de se désengager de certains types de risques. Et ensuite, pour toute personne qui essaie de s’assurer alors qu’elle ne l’est pas déjà, c’est impossible», révèle Me Hotte.

Selon un sondage réalisé par l’UPA, près de 6% des producteurs répondants ne seraient pas assurés. «Ça a l’air peu, mais ça veut dire que des gens n’ont pas d’assurance. C’est quand même inquiétant», commente Me Hotte.

L’avocate s’inquiète même devant un nouveau problème auquel ce climat particulier a donné naissance : des producteurs de la relève n’arrivent tout simplement pas à trouver d’assureur. Une condition souvent sans appel lorsqu’on emprunte pour démarrer sa production.

«C’est un cercle vicieux. C’est un peu particulier que ceux qui commencent ne puissent pas s’assurer. Pour moi, c’est un phénomène très nouveau. On ne l’a vu apparaître que dans les deux dernières années, et je suis là depuis 18 ans.»

Changer le marché 

Difficile pour les agriculteurs largués de faire valoir leur cause, puisque l’assurance n’est pas un droit, mais plutôt un contrat de gré à gré, selon la loi. Cependant, avec une équipe notamment composée d’experts en courtage et en actuariat, Me Hotte analyse la possibilité de créer un programme d’assurances qui serait spécifiquement adaptée aux agriculteurs.

«On est en train de se questionner à savoir s’il n’y aura pas de place pour plus de compétition dans le marché. Il y a trois assureurs qui se partagent le marché de l’assurance agricole au Québec. Est-ce que ce programme permettrait d’offrir aux producteurs une option et peut-être plus de stabilité?»

Le programme reposerait sur un groupe d’assureurs et serait administré par un seul courtier. «Plutôt que d’avoir plein de polices chez plein d’assureurs différents, on aurait peut-être l’opportunité de cogner à une seule porte. Les agriculteurs pourraient postuler et avoir accès à plusieurs assureurs sur une même police; alors qu’en ce moment, c’est un assuré pour un assureur. L’avantage de ça, c’est qu’il y a un meilleur contrôle des coûts. Les assureurs se partagent les risques. Ils ne sont pas seuls à sortir l’argent s’il y a un sinistre.»

Des conseils pour bien se protéger

En attendant que la solution parfaite soit mise sur pied, Me Marie-Andrée Hotte formule quelques conseils pour les agriculteurs en ce qui concerne les assurances. Le premier : la prévention est la clé.

«La meilleure chose qu’on peut faire si on ne veut pas avoir de problème, c’est de vérifier si ses bâtiments sont sécuritaires et de corriger quand l’assurance nous demande de le faire», dit-elle.

Ensuite, étant donné le climat actuel, Me Hotte croit que le moment serait très mal choisi pour un producteur de faire un changement d’assureur. «Si ça va bien, ce n’est pas le temps de magasiner.»

Finalement, il demeure primordial de limiter ses réclamations. «Ce dont on s’est aperçus, c’est qu’il y a des producteurs qui réclamaient pour des peccadilles. Ce n’est pas bon pour un dossier d’assurance. Il faut essayer de limiter les réclamations dans la mesure du possible. J’ai eu des producteurs qui ont eu quelques réclamations [et qui n’ont plus d’assureur]. Ça ne veut pas dire que ce sont des mauvais assurés, mais la conjoncture fait que, quand il y a des mauvais risques, on veut les enlever du portefeuille d’assurances. Et là il y a des gens qui en subissent des conséquences.»

Stéphane Bibeau, président du Groupe Estrie Richelieu, martèle également qu’il incombe au producteur de choisir les produits d’assurance qui lui conviennent, mais surtout, qu’il va de sa responsabilité de fixer les montants de protection adéquats. «Si vous déterminez que votre grange vaut 2 M $ et que vous vous assurez pour 2 M $, mais qu’elle brûle alors qu’elle en valait 4 M $ finalement, vous venez de perdre 2 M $. C’est important d’être bien conscient de ça et de bien se faire guider par son courtier.»

M. Bibeau croit également qu’il peut être sage de faire évaluer les coûts de remplacement de ses bâtiments et de son cheptel par des gens spécialisés dans le domaine, par exemple tous les cinq à sept ans.

Considérant les délais de reconstruction qui se font plus longs depuis l’arrivée de la pandémie, M. Bibeau conseille également aux assurés de réviser leur police et de vérifier que l’indemnisation prévue pour la perte de revenus compense une plus longue période d’arrêt en cas de sinistre.

 En chiffres

Il se produit plus de 200 incendies de ferme chaque année au Québec.

La défaillance électrique est la principale cause d’incendie dans les bâtiments agricoles, derrière la combustion spontanée du foin ou de la poussière.

Près de 1500 bâtiments agricoles ont brûlé entre 2010 et 2016. Ces incendies ont entraîné des pertes matérielles de plus de 225 M $.

Source : ministère de la Sécurité publique 

La Tribune