La Ferme Germanie face aux défis de l’agriculture bio
Michel Thibodeau est producteur agricole et propriétaire de la Ferme Germanie inc. à Princeville depuis 1986. Il a pris la relève de son père, Germain, qui l’exploitait depuis 1957.
Après avoir consacré ses énergies à la production laitière (1986-1998) et à la production ovine (1998-2014), il se lance dans la production céréalière, décision prise d’un commun accord avec son épouse après qu’ils eurent appris qu’elle souffrait d’un cancer.
«Devant cette situation, nous avons décidé de vendre les animaux pour faire de la grande culture. Mais pour nous, il n’était pas question de prendre ce virage sans faire la transition biologique. L’utilisation de produits toxiques dont on ne connaît pas la portée, ce n’était sûrement pas pour nous», d’expliquer M. Thibodeau qui a malheureusement perdu son épouse en octobre dernier.
La ferme nourrit plusieurs centaines de personnes avec le blé, le seigle, le sarrasin, les pois jaunes, le maïs et le soya qui y sont produits. «C’était important d’adopter un mode de production qui est sain.»
Après une production normale en 2014, la transition biologique s’est amorcée en 2015 et la ferme a obtenu sa certification bio en 2018. «Ce que l’on fait à la ferme aujourd’hui, c’est santé pour l’humain, santé pour les sols que nous utilisons et santé pour le producteur qui n’a plus aucun contact avec les pesticides.»
Le défi d’être bio
Comme l’explique M. Thibodeau, l’agriculture biologique offre bien peu de marge de manœuvre à ces producteurs dans notre région qui sont aux prises avec une saison de croissance écourtée, un sol fragile et la présence de roches dans leurs champs.
«La pratique du bio n’est pas toujours bonne pour nos sols et c’est pourquoi il faut trouver des solutions. C’est dans ce sens que nous travaillons à la ferme pour chercher des moyens pour diminuer l’impact sur la conservation de nos sols et éliminer les problèmes liés à la compaction et du drainage du sol.»
«La production biologique est basée en grande partie sur le sarclage afin d’éliminer les mauvaises herbes. On remplace en quelque sorte le travail chimique par du travail mécanique, ce qui s’avère très intense, voire même trop agressif, pour les sols de notre région. Le défi de vouloir conserver nos sols en bon état nous a amenés à développer, ici à la ferme, une technique pour répondre à nos problèmes et de réduire le passage de nos machineries dans nos champs», souligne M. Thibodeau.
«C’est une technique de production que nous avons adapté des États-Unis et qui nous permet, en plus de produire du soya de manière biologique, de le faire en conservation des sols sans travaux de préparation ni sarclages», précise l’agriculteur de Princeville.
Le processus
«En début septembre, on sème une plante ancienne extraordinaire, le seigle, qui résiste très bien à nos hivers, mais qu’on ne récoltera pas au final. Tout au long de sa croissance, on lui donnera plusieurs rôles tous aussi importants les uns que les autres qui vont s’étaler sur les 20 mois qui suivront», explique M. Thibodeau.
Le seigle servira d’abord de couvert d’automne et de printemps visant à empêcher l’érosion par les fortes pluies et la fonte de neige. Il gardera en permanence une vie active dans le sol, gardera un sol couvert même lors du semis du soya, fera un tapis au sol pour empêcher les mauvaises herbes de pousser dans le soya, conservera un sol plus frais et plus humide pendant les mois les plus chauds de l’été et continuera à protéger le sol jusqu’au mois de mai de la deuxième année. De plus, il aura séquestré beaucoup de CO2 et apportera au sol une quantité de matière organique très importante au terme de son travail.
«Lors du semis du seigle, nous avons gardé des bandes sans seigle dans lesquelles nous semons un mélange de moutarde et radis qui va jouer son rôle d’engrais vert d’automne et disparaître par la suite pour laisser de belles bandes propres pour semer le soya au printemps suivant.»
Le printemps venu, le soya en semis direct est semé vers le milieu du mois de mai sans aucun travail de sol. Le soya débute sa croissance et juste à la sortie de sa première vraie feuille vers le milieu juin, le seigle atteint la floraison, période où il peut être détruit en le roulant au sol sans qu’il ne se remette à pousser. Le paillis ainsi fait servira aux rôles déjà mentionnés et finira en un tapis sur lequel glissera facilement la barre de coupe de la moissonneuse lors de la récolte.
«Tous ces avantages viennent en prime avec un rendement comparable avec les autres techniques et un coût de production diminué d’environ 250 $/ha par rapport à la technique bio sarclée pratiquée avant sur la ferme.»
À part le semoir à soya et l’équipement de récolte, un seul autre outil sera utile à la technique, soit le rouleau crêpeur pour détruire le seigle sans affecter le soya. Celui-ci est composé de cinq rouleaux de 20 pouces chacun montés sur une suspension indépendante et dotés de couteaux dont le rôle est d’écraser le seigle en pinçant les tiges pour en faire un tapis de paille. Le rouleau a été développé par l’agriculteur et fabriqué par une usine de Plessisville, EPP Métal.
«Cette technique combinée au développement de notre rouleau nous a permis de réduire le passage de nos machineries dans nos champs de soya de sept à huit par année à un seul passage», laisse entendre M. Thibodeau qui se réjouit de cette avancée qui permet aussi d’améliorer le sol de ses cultures d’année en année et de ralentir le réchauffement climatique. «Nous prévoyons aussi utiliser une technique semblable pour la production de maïs.»
M. Thibodeau fonde de bons espoirs sur cette nouvelle méthode de production, lui qui compte également sur le soutien du CETAB+ et du ministère de l’Agriculture (MAPAQ) pour mener le projet à terme et le tester à plus grande échelle.