La faible valeur du huard… tente l’exportation

ÉCONOMIE. À une autre époque, la baisse de la valeur du dollar canadien (sous la barre des 0,70 $) face à la devise américaine stimulait les exportations et les investissements. «Ce n’est pas ce qu’on vit ici», constate Jean-François Girard, directeur général de la Société d’aide au développement des collectivités d’Arthabaska-et-de-L’Érable (SADC).

Il a le sentiment que les entreprises sont sur le brake et que règne un climat d’incertitude, les incitant à mettre leurs projets sur la glace. Cette incertitude n’a rien de politique, selon lui. Elle est plutôt d’ordre économique. «Il n’y a pas d’investissements et pas de création d’emplois», souligne encore le DG de la SADC, se rabattant toutefois avec soulagement sur le fait qu’il y a tout au moins maintien des emplois dans les entreprises de la région.

Que la baisse du dollar canadien ne favorise pas les exportations autant qu’on l’aurait pensé le questionne… et l’embête. «Pour avoir échangé là-dessus avec d’autres collègues, on a du mal à mettre le doigt sur le bobo, à comprendre pourquoi les entreprises qui se sont pourtant modernisées par le passé n’ont pas retrouvé la confiance.»

«On ne l’a pas vu venir»

L’industriel Alain Dumont détient peut-être des réponses pour expliquer cette incertitude des entreprises à profiter de la faible valeur de la devise canadienne. «On ne l’a pas vu venir. On a été surpris par ces fluctuations importantes. Et surpris parce qu’on a pensé que la faible valeur du dollar canadien était temporaire. Or, elle persiste.»

Pour une entreprise comme Fournitures funéraires Victoriaville qui réalise 35% de ses ventes aux États-Unis, «on aime toujours mieux quand notre dollar canadien est plus bas», admet M. Dumont. On appelle cela un avantage concurrentiel. «Mais ce ne serait pas responsable de bâtir tout son modèle d’affaires sur le seul taux de change.» Avec le temps, poursuit-il, des facteurs autres que le taux de change se sont ajoutés pour les entreprises canadiennes désireuses d’exporter aux États-Unis. «Avant, le taux de change était un facteur instantané, automatique, pour favoriser les exportations vers les États-Unis.»

D’un côté comme de l’autre des frontières canado-américaines, le marché a changé. Les entreprises canadiennes se sont dotées de mécanismes de stabilisation pour se prémunir des fluctuations de la valeur du dollar, dit le président de Fournitures funéraires de Victoriaville qui fait travailler quelque 350 personnes. «On achète par exemple des dollars américains à l’avance pour être certains de ne pas être à la merci de ces fluctuations.»

Et, de l’autre côté, aux États-Unis, le marché s’est outillé pour faire face à la concurrence étrangère. Est-ce le huard canadien qui a trop de plomb dans l’aile ou le dollar américain qui vole trop haut? «C’est peut-être un mélange des deux. De notre côté, la précarité de l’industrie du pétrole a un effet baissier sur le dollar. Aurait-on pu imaginer le baril à 30 $? De l’autre côté, il y a des Américains – républicains – qui reprochent au gouvernement d’Obama de leur avoir fait perdre autant de contrôle sur leur devise qu’auparavant.»

Les États-Unis sur toutes les lèvres

Anne-Marie Lamothe, commissaire au développement des entreprises pour le Centre-du-Québec au Carrefour Québec International (CQI), partage le conseil de prudence de l’homme d’affaires Alain Dumont.

Elle dit que depuis septembre, le CQI reçoit beaucoup d’appels d’entreprises centricoises voulant profiter du taux de change avantageux pour vendre leurs produits aux États-Unis. ««Vendre aux États-Unis» est sur toutes les lèvres.»

Certes, dit la commissaire, le taux de change crée un «momentum» pour reluquer le marché américain. «Mais quand on exporte, il ne faut pas considérer que le taux de change. Il faut que le produit ou le service se démarque autrement pour rester attrayant sur le marché américain même quand le huard aura repris de la valeur.» Elle rappelle qu’en 2008, beaucoup des entreprises qui vendaient aux États-Unis n’existent plus aujourd’hui lorsque le dollar canadien s’est retrouvé presque à parité avec celui des États-Unis. «Et le Canada n’est pas tout seul à vouloir vendre sur le marché américain. On n’est pas le seul pays ayant une monnaie dévaluée, on a de la concurrence!»

Les accords de libre-échange (Transpacifique et européen) auront aussi leurs incidences sur l’économie, ajoute la commissaire. Aux entreprises désireuses de profiter du momentum pour exporter aux États-Unis, Anne-Marie Lamothe dit qu’il faut dépasser le «me to (moi aussi)». «Il faut aller au-delà de la simple guerre de prix.» L’innovation, le produit de niche, la qualité du service à la clientèle et de l’après-vente constituent aussi des clés pour s’ouvrir des portes à l’étranger, énumère la conseillère en exportation, le tout s’appuyant sur une étude de marché.

«Le timing est parfait pour une entreprise qui veut commencer à vendre aux États-Unis. Mais il ne serait pas responsable de le faire uniquement en fonction du taux de change. Exporter, c’est établir une relation de confiance avec son client», conclut Alain Dumont. Et cela prend du temps, laisse-t-il entendre.