Immigration : une reconnaissance des diplômes plus difficile en région?

Somayeh Shiralizadehnemati exerce le métier d’infirmière en Iran pendant 13 ans. Arrivée au Québec en 2014 dans l’espoir de plus de droits et avec la certitude de pouvoir vivre de sa profession, elle se soumet depuis à toutes sortes d’exigences pour réaliser son rêve. Or, elle quittera Victoriaville en mai, avec l’idée qu’ici, ses ambitions ne peuvent se concrétiser.

Bien qu’elle cumule les diplômes québécois, le CIUSSS MCQ refuse toujours de l’embaucher. C’est du moins ce qu’elle avance. Somayeh se dit amère, car en décembre, après avoir réussi avec brio le processus de sélection pour entrer à l’emploi de l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska et qu’on lui ait annoncé la retenue de sa candidature, on l’aurait finalement informée qu’il y avait un mot de trop sur son permis de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) : temporaire.

Depuis son arrivée à Victoriaville en 2018, Mme Shiralizadehnemati travaille comme auxiliaire infirmière pour une résidence privée pour personnes âgées. «Je peux travailler comme auxiliaire, comme préposée, mais pas comme infirmière pour le CIUSSS de la région», déplore-t-elle. On lui aurait dit «que [s]on français n’est pas assez bon pour la clientèle principalement québécoise». Pourtant, là où elle travaille présentement, on s’amuse plutôt de son accent, indique-t-elle.

Études

Somayeh quitte l’Iran en juin 2014 dans une quête de liberté. Elle aime son pays natal, mais juge que le gouvernement islamique pose problème, notamment pour les femmes, qui ne jouissent pas des mêmes libertés que les hommes. Puisque plusieurs de ses amies infirmières vivent et travaillent à Montréal, elle décide de partir. «Mon dossier d’immigration était pour le travail, comme infirmière. J’avais appris un peu le français pour passer l’entrevue. J’ai réussi et je suis arrivée à Montréal», commence-t-elle. Il ne s’agissait que de rudiments, à ce moment, mais elle a aussi passé les examens en anglais, sa langue seconde. Constatant que le français du Québec s’avère bien différent de celui de la France, elle s’inscrit à l’Université de Montréal et reçoit un certificat en français langue seconde pour non-francophones en 2016. «Ça coûtait 10 000 $, alors je paie maintenant encore chaque mois. Je rembourse», confie-t-elle.

Elle adhère ensuite au programme d’intégration à la profession infirmière du Cégep de Sherbrooke et décroche son attestation en 2018. «Je savais que pour avoir une équivalence, je devais faire quelques cours au Cégep. Et j’ai obtenu mon attestation.» La même année, elle déménage à Victoriaville avec son conjoint, qu’elle a rencontré au Québec. Leur demeure se situe à proximité de l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska et elle s’imagine pouvoir y travailler. «Moi, j’ai travaillé fort, car j’aime bien être active dans la société. Je veux avoir toutes les options», souligne Somayeh. Ainsi, elle se soumet à l’examen de l’OIIQ pour obtenir son permis d’exercice. «Je l’ai réussi en octobre dernier, mais parce qu’on n’est pas francophone, il faut passer le test avec l’Office québécois de la langue française», rapporte-t-elle. En attendant, on lui délivre un permis temporaire, valide pendant un an, en décembre 2019. Bien qu’elle occupe des postes de préposée et d’auxiliaire depuis son arrivée au Québec, elle aspire toujours à pratiquer son métier d’infirmière, pour lequel elle est qualifiée. La réception de son permis représente pour elle un nouveau chapitre qui s’ouvre.

Victoriaville

Elle envoie son curriculum vitae dans l’espoir d’être embauchée à l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska. Elle se présente à une entrevue et passe des examens écrits de mises en situation professionnelle, notamment. «Après deux jours, on m’a appelée pour me dire que j’avais réussi, que tout était bon. Il ne manquait plus que certains documents pour compléter le dossier. Ils m’ont dit qu’on ferait l’orientation pour commencer à travailler», soutient-elle. Or, lorsque les responsables de l’embauche constatent que son permis de l’Ordre des infirmières et des infirmiers est temporaire, on l’informe qu’elle ne pourra pas travailler pour le CIUSSS MCQ. Somayeh s’indigne de ce critère qui lui apparaît régional, puisque ses amies infirmières disséminées aux quatre coins du Québec exercent leur profession avec ces permis temporaires. «J’ai un problème avec cette règle de la région. L’Ordre me dit que je peux travailler sans problème.»

L’infirmière iranienne a obtenu son attestation de l’Office québécois de la langue française le 17 février. D’ailleurs, les commentaires pour chaque critère d’évaluation se retrouvent dans la colonne «très bien». D’une journée à l’autre, elle recevra son permis officiel de la part de son ordre. Toutefois, elle et son mari ont décidé récemment de quitter la région. Ils iront vivre à Saint-Jérôme. À peine ont-ils fiché la pancarte «À vendre» devant leur demeure que celle-là trouvait preneur.

«J’ai travaillé fort et j’ai pleuré à la maison, car je sentais que je n’étais pas acceptée à cause de ma langue. Pourquoi? Vous ne me comprenez pas bien? Au privé, ils me comprennent. Mais moi, je suis infirmière. On me dit, votre place est ici, mais il faut encore attendre.» Non, Somayeh ne veut plus attendre. Enfin, elle témoigne de son expérience surtout parce qu’elle y voit une injustice et qu’elle espère que cette règle changera afin que d’autres ne subissent pas le même préjudice. «Je ne trouve pas logique de vivre à côté d’un hôpital et de devoir déménager là où les règles sont différentes.» Somayeh a 42 ans, elle étudie tous les jours, parle français à la maison et en est très fière.

Permis acceptés

Du côté du CIUSSS MCQ, on soutien accepter les quatre types de permis délivrés par l’OIIQ : temporaire, régulier, restrictif temporaire et restrictif. Julie Michaud, agente d’information, précise que lorsque le permis n’est pas «régulier», l’on prévoit des modalités d’accueil particulières afin de permettre à l’employé de bien s’intégrer. Le programme d’accueil et d’orientation peut prendre la forme d’un jumelage avec une ressource déjà en poste.

Dans le cas de Mme Shiralizadehnemati, on apporte quelques nuances puisque ce n’est pas l’aspect «temporaire» qui a fait ralentir son dossier. Sur le site de l’OIIQ, en vérifiant son droit d’exercice, l’on constate que son permis temporaire présente une date de fin d’inscription au Tableau pour le 31 mars 2020, bien que le document indique qu’il est valable jusqu’au 9 décembre 2020.

Son permis sera régularisé sous peu, puisqu’elle a réussi les examens de l’Office de la langue française. Or, Mme Michaud explique qu’au moment de l’embauche, la date du 31 mars semblait très proche et que sans l’assurance de la réussite aux tests de français, on ne pouvait se permettre d’entamer tout le processus de formation. La promesse d’embauche de l’infirmière tient toujours. On attend simplement que son droit d’exercice soit officialisé. Mme Michaud ajoute que le CIUSSS MCQ a mandaté Recrutement Santé Québec afin de mener une douzaine de missions de recrutement à l’étranger pour attirer des infirmières et des préposées dans la région.