Immigration : «Faut s’ouvrir les horizons!»

Victoriaville aurait retenu au moins 95% des personnes d’origine syrienne qu’elle a reçues en deux ans estime Francis Petit, coordonnateur du Comité d’accueil international des Bois-Francs (CAIBF).

De janvier 2016 à aujourd’hui, 103 réfugiés syriens ont débarqué à Victoriaville formant 19 groupes familiaux.

De ces 103 nouveaux arrivants, 65 ont moins de 17 ans – 12 ans étant l’âge médian de tous les immigrants syriens -, ce qui constitue un des facteurs pouvant expliquer le fort taux de rétention des familles syriennes à Victoriaville, soutient M. Petit.

Comme le verre d’eau, illustre-t-il, l’identité d’une personne se forge au fil de ses apprentissages, de ses rencontres, de ses expériences. Poursuivant son analogie, il dit qu’il y a encore plus de place dans le «verre d’eau» d’une jeune personne pour de nouvelles expériences. «L’intégration se fait donc plus facilement pour les plus jeunes.»

D’autres facteurs auraient aussi contribué à la rétention des réfugiés syriens, explique M. Petit.

Il évoque le fait que, arrivés en deux vagues, ils forment une «masse critique», une «communauté» de gens pouvant s’entraider le cas échéant, se côtoyant dans les cours de francisation et s’encourageant mutuellement. Ne serait-ce que de passer de l’arabe au français, apprendre à écrire de gauche à droite, tout cela n’a rien d’une sinécure pour les Syriens d’origine, souligne M. Petit.

Le «soutien indéfectible» de la Commission scolaire des Bois-Francs et les politiques familiales de la Ville de Victoriaville constituent également des facteurs de rétention, selon Francis Petit. Il ajoute que le mouvement Hop la ville constitue une belle perche pour faire connaître les plateaux et les services de la Ville. «La navette est hyper populaire lors des journées Hop la ville.»

«La meilleure clé pour retenir les nouveaux arrivants? Ce n’est jamais simple, répond le coordonnateur du CAIBF. On ne parle plus de la communauté colombienne tellement elle s’est bien intégrée. Par contre, les quelques Irakiens que nous avions accueillis sont repartis.»

La principale clientèle du CAIBF se compose à 80% de réfugiés (en moyenne 77 par année) que l’on peut accompagner jusqu’à cinq ans après leur arrivée, explique M. Petit.

On n’en a pas encore appris beaucoup sur le sujet, mais le gouvernement du Québec a fait savoir que Victoriaville avait été choisie pour la mise en place d’un «projet innovant» avec les Offices jeunesse internationaux du Québec pour améliorer l’accompagnement des nouveaux arrivants et les inciter à s’installer en région.

«Faut s’ouvrir les horizons!»

Les aspirations des nouveaux arrivants ne sont pas différentes de celles des gens de leur communauté d’accueil, dit encore le représentant du CAIBF.

«Un Québécois bien dans son milieu est celui qui peut y jouer un rôle social valorisant, qui possède un réseau, dont les enfants sont bien à l’école et qui a du travail. Ce n’est pas différent pour les personnes immigrantes! Des emplois, il y en a ici, qui ne nécessitent qu’un minimum de formation.»

Sylvain Côté, administrateur pour les deux pharmacies Jean Coutu de Victoriaville, soutient que le travail constitue un important facteur de rétention.

«Dans le contexte actuel, on n’a pas le choix. Faut s’ouvrir les horizons! Il faut faire tomber les barrières», soutient M. Côté, convenant avec le gérant de la succursale du centre-ville, Bernard Labbé, que ce sont les préjugés qui constituent les premiers écueils au recrutement de travailleurs étrangers.

Depuis août, deux jeunes, deux amis d’origine syrienne, travaillent à l’établissement du centre-ville. Ahmad Alsbeihi et Asheq Abou Danaf avaient présenté leur candidature pour occuper un travail à temps partiel, eux qui poursuivent leurs études au Centre d’éducation des adultes Monseigneur-Côté.

«Leur français n’était pas au point», note M. Côté. Mais leur «vaillance et leur bonne attitude» ont milité en faveur de leur embauche. Leur intégration au travail s’est faite progressivement, passant pour ainsi dire de l’entrepôt jusqu’à la clientèle où ils occupent des emplois de commis et de caissier.

De façon générale, la clientèle réagit bien à ces jeunes employés, affirme l’administrateur. Même que dans certains cas, les deux jeunes de 17 ans attirent une clientèle de gens heureux de pouvoir expliquer dans leur langue leurs besoins pharmaceutiques.

Des 155 employés des deux pharmacies, une bonne douzaine proviennent de l’immigration, remarque l’administrateur.

«Oui, il faut faire preuve d’ouverture», affirme M. Côté, se refusant toutefois à appliquer le principe de la discrimination positive. «Ce qu’on cherche, c’est le meilleur candidat disponible pour l’emploi. On n’accorde pas un privilège à une personne parce qu’elle est une femme, un homme, une personne handicapée ou un immigrant. Les deux jeunes ont répondu à nos critères d’embauche. Ils n’ont pas eu droit à un traitement privilégié, ce qui n’aurait pas été équitable.»

«Avoir de l’argent et apprendre le français», telles sont les motivations du jeune Ahmad (on prononce Amed) qui travaille une vingtaine d’heures par semaine chez Jean Coutu tout en poursuivant ses études secondaires au Centre Monseigneur-Côté. Et il lui arrive de travailler aussi à la Place 4213. Le jeune homme ne cache pas que le soutien financier de l’État tire à sa fin et qu’il lui faut compter sur ses propres moyens.

Avec ses parents, deux de ses trois frères et deux sœurs, il est arrivé à Victoriaville le 16 février 2016. La guerre et les «bombes» agitant sa Syrie natale ont ponctué son enfance et brusquement interrompu ses études. La famille s’est réfugiée en Jordanie, y est restée pendant quatre ans, ses membres travaillant dans la clandestinité, la menace d’une arrestation étant quotidienne. Jamais jusqu’à son arrivée au Canada, le jeune de 17 ans n’avait connu la sécurité.

Il comprend de mieux en mieux le français, le parle aussi et se propose même d’apprendre l’anglais et l’espagnol, rêvant de devenir policier.