Grève de l’amiante de 1949 : un tournant dans l’histoire du Québec

Le 13 février 1949, la grève de l’amiante était déclenchée par les 2000 mineurs de la Johns-Manville Company à Asbestos. Le lendemain, 3000 ouvriers de Thetford Mines leur emboîtaient le pas. Ce conflit ayant duré environ quatre mois et demi est devenu un symbole de la lutte syndicale et un tournant dans l’histoire du Québec.

À Thetford, la grève implique presque toutes les mines d’amiante, sauf la Bell où les travailleurs, qui n’ont pas le même syndicat, s’entendent très vite avec l’employeur. Les négociations avec les mineurs des autres compagnies avaient toutes échoué jusque-là dans le cadre du renouvellement de leur convention collective. La procédure normale aurait été de passer par l’arbitrage d’abord, mais les ouvriers ne faisaient pas confiance aux arbitres qui étaient généralement favorables à l’employeur. Ils avaient alors décidé de sauter cette étape et d’aller tout de suite à la grève.

«Maurice Duplessis, premier ministre du Québec à l’époque, était quelqu’un d’intransigeant, notamment envers les syndicats. Il a déclaré la grève illégale rapidement puisque ça ne s’était pas fait selon les normes. Dans un contexte plus large, Duplessis menait alors une lutte contre le syndicalisme et le communisme. De leur côté, les compagnies minières se battaient pour leur droit de gestion en tant que propriétaires privés. La grève a pris des proportions beaucoup plus grandes que les simples demandes des mineurs et elle est devenue en quelque sorte une lutte idéologique», explique Karine Pépin, historienne au Centre d’archives de la région de Thetford. 

PEU DE GAINS

Parmi les demandes des mineurs, il y avait une hausse salariale de 15 cents de l’heure. À la fin du conflit, ils avaient obtenu 10 cents ainsi que quatre jours de fête payés (ils en demandaient neuf) et trois semaines de vacances après 25 ans (ils demandaient deux semaines après deux ans et trois semaines après 20 ans). 

Ils souhaitaient de plus une prime pour le travail de nuit et être payés en double les dimanches ainsi que les jours fériés, ce qui avait été rejeté à la fin. Les demandes telles que l’implication du syndicat dans le cas d’un congédiement, d’une promotion ou d’un transfert, la contribution de la compagnie à un fonds de sécurité sociale et le prélèvement des cotisations syndicales à la source avaient aussi été rejetées. 

Les mineurs commençaient également à être conscientisés au sujet des dangers pour leur santé. Juste avant la grève, un pamphlet avait d’ailleurs été publié concernant l’impact de la poussière dans les mines. Les ouvriers avaient demandé une meilleure élimination de celle-ci sur les lieux de travail, mais aucune norme n’avait été imposée à l’époque, cela était resté à la bonne volonté de l’employeur. Ce n’est que lors de la grève de 1975 que des mesures en ce sens avaient été imposées. 

VIOLENCE

Le fait que le gouvernement déclare la grève illégale rapidement avait fait dégénérer le conflit en violence. À Asbestos, la compagnie avait embauché des briseurs de grève, ce qui avait causé plusieurs incidents avec les travailleurs. Les mineurs de Thetford s’étaient d’ailleurs déplacés vers Asbestos afin de soutenir leurs confrères et d’empêcher les briseurs de grève d’entrer au travail. 

«Au début du mois de mai, un gros incident est survenu. La police locale avait fait appel à la police provinciale qui avait bloqué la ville d’Asbestos. Les ouvriers de Thetford s’étaient réfugiés dans l’église et à d’autres endroits pour la nuit. À leur sortie, ils avaient été battus, arrêtés et accusés d’avoir causé une émeute. Les journalistes sur place étaient scandalisés et avaient témoigné de la brutalité policière», relate Karine Pépin.

SOLIDARITÉ

Pendant les quatre mois et demi que dura le conflit, la sympathie du public était bien présente pour les mineurs. Ces derniers étaient sans salaire et sans fonds de grève. Plusieurs levées de fonds et de denrées avaient été organisées à travers le Québec pour soutenir les familles. 

Un autre fait marquant est l’appui d’une partie du clergé catholique envers les mineurs. «Pour la première fois, il y a eu une fissure entre le gouvernement, le clergé et le patronat, indique Mme Pépin. Le clergé était partagé, mais une bonne partie était en faveur des grévistes. Sous l’ère de Maurice Duplessis, l’Église marchait habituellement main dans la main avec le gouvernement. L’archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, avait perdu son poste en raison d’une déclaration en soutien aux mineurs. Il avait par la suite été muté en Colombie-Britannique.»

L’abbé Henri Masson, qui était activement impliqué dans la grève en tant qu’aumônier du syndicat local, s’est vu retirer son droit d’enseigner à l’École des arts et métiers de Thetford Mines. Il demeurera toutefois dans la région et deviendra aumônier pour d’autres syndicats locaux. 

LA FIN DE LA GRÈVE

La grève s’est terminée à la suite de l’intervention de l’archevêque de Québec, Mgr Maurice Roy, qui a agi comme médiateur et proposé des compromis. Il a fait en sorte que la Johns-Manville Company à Asbestos laisse tomber les poursuites civiles contre les grévistes et que les syndicats acceptent que les briseurs de grève conservent leur emploi. Les négociations s’étaient toutefois poursuivies jusqu’à la fin de l’année. En décembre, c’est un tribunal d’arbitrage qui avait tranché.

«Les mineurs n’ont vraiment pas eu grand-chose et ce fut une déception pour eux. Cependant, au niveau national, la grève a entrainé plusieurs répercussions. Les travailleurs ont pris conscience de leur pouvoir de force. Ce fut aussi une étape de plus pour reconnaitre l’importance des syndicats. Auparavant, on parlait davantage d’un syndicalisme de bonne entente et de collaboration. À partir de là, il est devenu de revendication. Cela a marqué un tournant dans le syndicalisme au Québec», souligne Karine Pépin. 

La grève de l’amiante a créé de petites fissures dans le pouvoir qu’exerçait Maurice Duplessis à l’époque. C’est la première fois qu’il sera contesté aussi intensément. Les intellectuels de gauche seront galvanisés et cela alimentera leur réflexion jusqu’à la Révolution tranquille qui débuta une dizaine d’années plus tard. 

Enfin, la grève a mis de l’avant plusieurs personnages de l’histoire du Québec comme Pierre Elliott Trudeau, alors militant syndical, et Gérard Pelletier, envoyé par Le Devoir comme journaliste, ainsi que quelques figures syndicales importantes comme Jean Marchand et Gérard Picard. Le futur maire de Montréal, Jean Drapeau, a aussi défendu les grévistes en tant qu’avocat.