Émilie Gélinas ose regarder la pornographie en face

SOCIOLOGIE. Les consommateurs de pornographie passent, en moyenne, six minutes à satisfaire leur curiosité sur le Net. C’est loin de suffire pour réfléchir à la place prépondérante qu’elle a prise partout dans la sphère publique. Loin de suffire pour la remettre en question.

Ce constat, c’est une toute jeune femme de 24 ans, Émilie Gélinas, qui l’a fait devant son tout aussi jeune auditoire du cégep de Victoriaville à l’occasion de la dernière conférence de la session de la série des Mercredis des sciences humaines.

La jeune femme originaire de Saint-Eustache a su, par un détour dans l’histoire, par des références à des ouvrages, par des exemples concrets et des mots non équivoques, camper le «visage» de la pornographie à l’ère contemporaine. Elle en a fait le sujet de son mémoire.

Sa conférence n’en portait toutefois pas le titre «Analyse du rapport à l’altérité dans la pornographie contemporaine : une utopie de l’individualisme radical»! (il devrait faire l’objet d’une publication, elle l’espère).

Sans moraliser, elle l’a abondamment vulgarisé en expliquant comment, de la sphère privée la pornographie s’était frayé un chemin jusqu’à la sphère publique (dans la pub, les bars, les concours, la télé, etc.), imposant ses normes et s’exposant jusque devant les enfants.

La jeune sociologue soutient qu’il existe peu d’ouvrages traitant des répercussions de la pornographie ambiante sur le développement de la personnalité, cette forme de représentation de la sexualité imprégnant très tôt les individus.

Remettre en question

S’appuyant sur les données d’une étude menée par Tel-Jeunes, elle croit personnellement que la pornographie impose ses codes aux garçons et aux filles. On en vient à ne plus savoir où se situent les limites, dit-elle.

Selon l’étude de Tel-Jeunes, les questions les plus fréquentes que posent les garçons concernent la taille du pénis et la durée de l’érection. Quant aux filles, elles se questionnent sur la taille des petites lèvres, sur l’épilation du pubis (qui s’est imposée dans les années 1990, visibilité des organes oblige), sur le volume des seins, si elles doivent ou non accepter les expériences sexuelles.

Ces questions renvoient à la nature même et aux conventions de la pornographie qui représente la sexualité dans sa forme brute et explicite, celle où il n’y a pas de temps pour la construction du désir, où l’acte est instantané, où il y a absence de visage… à moins que ce soit celui qui montre la jouissance ou qui est aspergé de sperme. «Celle où les femmes sont censées accepter tout.»

Dans le Net, on choisit, a-t-elle poursuivi. Pour avoir navigué longtemps sur le Net afin de colliger les matériaux de son mémoire, Émilie Gélinas dit que les choix sont infinis pour le consommateur de porno, tant en termes de caractéristiques physiques que de pratiques sexuelles. «Tout existe sur le Net qui personnalise les désirs et fantasmes. Ça ne se passe pas ainsi dans la vie!».

Il n’y a pas vraiment eu de temps pour les questions des jeunes – qui n’avaient pas accouru au micro immédiatement après sa conférence -, ce qui a désolé la jeune femme. Elle dit qu’habituellement, après un petit temps de silence à la fin de sa conférence, des questions fusent.

On lui demande, par exemple, pourquoi elle s’est ainsi lancée dans ce champ d’études si particulier. Elle l’a fait, explique-t-elle, pour répondre à ses propres questions, celles qu’elles se posaient à l’adolescence.

Elle aurait pu répondre aussi à cette autre question portant sur l’évolution de l’obscénité… en est-on arrivé à la fin?

Visant, un jour, enseigner la sociologie au collégial, elle a réalisé quelques contrats de recherche dans le monde des microbrasseries et s’apprête à quitter le pays pour travailler pendant quatre mois dans un bar niché dans les Alpes.

Quelques données

70% des consommateurs de pornographie sont âgés de 18 à 24 ans.

Deux consommateurs sur trois sont des hommes.

Ils ont de 8 à 13 ans les enfants qui voient leurs premières images pornographiques. «À cet âge, les enfants ne savent pas faire la différence entre la fiction et le réel», soutient Émilie Gélinas.