Élevage d’insectes comestibles : un savoir, un goût et une industrie à développer

Dans le pavillon d’agriculture urbaine du Cégep de Victoriaville sont élevées de petites créatures grouillantes de vie. En effet, depuis le début de la session d’hiver s’y donne, pour une première fois, le cours d’élevage d’insectes comestibles.

S’inscrivant dans le profil académique d’agriculture urbaine dans le DEC en Gestion et technologies d’entreprises agricoles donné par l’Institut national d’agriculture biologique (INAB), le cours figure au cursus, comme les autres, afin d’offrir aux élèves différents outils afin d’occuper des postes dans les villes et favoriser, comme le titre de la formation l’indique, l’agriculture urbaine.

C’est Alexandre Gardner qui offre ce cours donné à la deuxième année de cette première cohorte d’étudiants. «En plus de l’élevage d’insectes, ils font de la culture de champignons, de l’apiculture, de la culture en serre, de la gestion, des communications, etc.», dit-il.

Le choix de ce cours assez particulier s’explique par le fait que cet élevage peut se faire en milieu urbain, dans des entrepôts désaffectés par exemple, tout comme à la campagne.

L’enseignant, qui est aussi apiculteur, a toujours été, comme il le dit lui-même, «tripeux d’insectes» et n’a donc pas hésité à s’intéresser au sujet et à s’y former afin de maintenant l’enseigner aux élèves. Il a donc visité plusieurs entreprises spécialisées dans le domaine pour y faire des stages pratiques et découvrir les particularités de cette production.

Il propose donc un cours de 45 heures lors duquel les élèves sont en action et ont les mains directement dans les insectes. «Nous avons mis en place un élevage dont ils s’occupent», précise-t-il.

Trois principales productions

Il y a trois productions principales d’insectes au Canada qui sont abordées dans le cours : celle du ténébrion meunier, de la mouche soldat noire et du grillon. Pour le profil agriculture urbaine, on a choisi de faire l’élevage du ténébrion… pour le moment.

Certains l’appellent le vers à farine et on l’élève afin de le consommer (humains ou animaux) à l’état de larve ce qui signifie qu’il faut bien connaître le cycle reproducteur ainsi que le développement de l’insecte.

On a aménagé une pièce dont l’humidité et la chaleur sont contrôlées et c’est là que l’élevage se fait, dans des bacs installés sur des supports à roulettes. On y voit les différentes étapes, de la ponte jusqu’à la larve.

Les larves sont ensuite séchées et consommées sous différentes formes. D’ailleurs, le professeur avait avec lui une gamme de produits faits à partir du ténébrion comme des biscuits, de la réglisse, des boules d’énergie, etc. «La texture est croquante et plusieurs sportifs de haut niveau le trouve intéressant», ajoute Alexandre. On le transforme également en farine protéinée que plusieurs trouvent avantageuse en termes de nutrition.

Nourris de résidus

Et pour alimenter ces petites bestioles, les élèvent utilisent des ressources impropres à la consommation humaine comme des résidus végétaux. D’ailleurs, pour l’élevage, ils recueillent les restes de la cafétéria du Cégep et de La Manne, comme les pelures de légumes, les bouts de céleri ou de fruits. «Ça permet de revaloriser des résidus dans la chaîne de production», note l’enseignant. Ces restes alimentaires vont permettre de nourrir des insectes qui seront ensuite consommés par des animaux ou des humains. Il n’y a aucune perte puisque le fumier produit par les insectes (déjections) est utilisé comme fertilisant (frass) dans les serres. Il n’y a aucune perte ou résidu final.

Les autres espèces

Les élèves étudient aussi l’élevage de la mouche soldat noire. Celle-ci est davantage consommée à l’état de larve par les animaux comme la volaille, les poissons des piscicultures, les porcs ou les animaux domestiques. «Elle n’est pas originaire du Québec et elle porte son nom parce lorsqu’elle est posée, elle reste bien droite, immobile, tel un soldat au garde-à-vous», explique Alexandre.

Quant au grillon, tout le monde le connaît assez bien. Il se retrouve dans l’alimentation humaine (et des animaux aussi) et est consommé au stade adulte. «Chaque insecte a ses particularités», note l’enseignant. On enseigne donc les cycles, l’alimentation de chaque espèce, le milieu de contrôle nécessaire pour optimiser la production ou encore des notions de biosécurité (très importantes notamment pour les espèces consommées par les humains).

Pendant le cours, les trois espèces sont expliquées, mais les étudiants font également des visites d’entreprises. «Et ceux qui souhaitent aller plus loin peuvent faire des stages sur des fermes d’élevage afin d’obtenir davantage de connaissances et d’expertise», ajoute Alexandre.

L’élevage démarré pour la formation est à petite échelle, mais fait le tour de la base de l’élevage. Les élèves sont responsables d’alimenter les insectes, de les sasser pour séparer les mouches des larves ou pour enlever les déjections. À la fin du cours, l’élevage aura produit 1 200 000 larves et récupéré 200 kilos de résidus végétaux ainsi détournés du compostage.

Le frein : la mise en marché

Si les avantages de l’élevage d’insectes sont nombreux (cycle rapide, consomme peu d’eau, émissions à effet de serre minime), le défi demeure la mise en marché du produit.

En effet, il est difficile d’encourager les Nord-Américains à les consommer. «Certains éleveurs vont donc axer leur production sur l’alimentation des animaux qui n’ont pas de restrictions psychologiques. Mais il faut faire connaître l’insecte. Dans des produits où l’insecte est camouflé, notamment dans la farine, ça passe mieux», ajoute l’enseignant.

À la limite, on pourrait même en passer sans le dire, mais ce n’est pas recommandé puisqu’il faut savoir que lorsqu’on mange des insectes, ils peuvent être allergènes pour ceux qui sont allergiques aux crustacés. Les deux sont en effet couverts de chitine qui peut provoquer des réactions.

Il s’agit encore d’une industrie nouvelle qu’il faut faire connaître davantage. Cela permettra en même temps d’ouvrir des marchés pour cette protéine qui mérite d’être découverte.

Un autre frein à la production au pays c’est la mécanisation. «Si on veut se positionner, le Québec devra investir dans la recherche. Il faudra aussi mécaniser la production et, pour cela, les entreprises devront avoir accès au financement», termine-t-il.

On parle donc de plus en plus de cette protéine intéressante, autant pour la consommation humaine qu’animale. «C’est un élevage d’avenir», estime Alexandre Gardner.