David Lemire, un producteur de fraises, réussit un tour de force

Quand il a acheté la Ferme horticole Gagnon en 2004, David Lemire avait pour objectif de faire de la fraise son produit distinctif. Pour réussir, il a voyagé aux quatre coins du globe, passé plusieurs nuits blanches et réalisé un nombre incalculable d’essais. Près de 20 ans plus tard, avec une production de fraises en continu de mai à octobre, il peut dire mission accomplie.

Cette année, la saison a débuté le 24 mai et se terminera le 20 octobre, et ce, sept jours sur sept. En quelques années, M. Lemire est passé de trois hectares de fraises à vingt-deux. « Pour réussir ça, il a fallu aller voir en Europe ce qui se faisait au niveau des variétés, des techniques, etc. J’ai voyagé en Espagne, Belgique, France, Hollande et Californie », énumère-t-il.

« Quand j’ai commencé, au début des années 2000, il y avait de nouvelles techniques de production qui arrivaient et qui venaient surtout d’Europe, poursuit M. Lemire. Ça nous permettait de devancer la saison d’environ un mois. Et en même temps, il y avait l’arrivée de la fraise d’automne, qui nécessitait des techniques de production très différentes. »

Pour avoir des fraises cinq mois par année, énormément de détails doivent être pris en compte. « On croise environ cinq techniques de production différentes avec neuf variétés de fraises. À ça, on ajoute des couleurs de plastique différentes pour obtenir des températures différentes dans le but de devancer ou de retarder la floraison des plants », explique M. Lemire.

D’une année à l’autre, il a peaufiné ses façons de faire pour en arriver à la formule gagnante. « Pour avoir des fraises très tôt, il faut faire les buttes l’automne d’avant et récolter les stolons de fraises, précise-t-il. Il faut couper les stolons, les transplanter et faire une motte. On commence la coupe de stolons fin juillet pour que tout soit planté le 15 août maximum. »

« Après, on met des bâches spéciales par-dessus pour les faire grandir, mais pas trop pour que les plants évitent les premiers gels, ajoute ce dernier. En octobre, on remet une autre bâche par-dessus. On les fait croître le plus possible à l’automne pour qu’ils produisent le plus rapidement possible au printemps. C’est beaucoup d’essais-erreurs avant de trouver la bonne combinaison. »

Cette méthode est utilisée pour les fraises de mai à juin. Après viennent les fraises cultivées selon la méthode traditionnelle au champ. Quant à elles, les fraises d’automne sont plantées au printemps. Parmi les variétés cultivées à la Ferme horticole Gagnon, une a été importée d’Allemagne.

Défier le gel

Le plus gros défi des producteurs de fraises, c’est éviter le gel. « À un demi-degré sous zéro, ça gèle et tu perds ta production, fait remarquer M. Lemire. Quand t’as des fraises en mai, c’est parce que les plants étaient en fleurs en avril. Et il y a beaucoup de nuits de gel au mois d’avril. »

Lorsque ça se produit, M. Lemire passe la nuit au champ à arroser les plants et à les couvrir à l’aide de bâches. « C’est un principe physique : un liquide qui se transforme en glace libère de la chaleur quand il change de phase. Cette chaleur, c’est juste assez pour garder la plante en vie », explique-t-il.

Au lendemain d’une nuit de gel, il y a deux centimètres de glace sur les plants de fraises. « Il faut toujours qu’il y ait de la nouvelle eau qui se transforme en glace, soutient M. Lemire. C’est juste assez pour maintenir la fleur à 0 degré pour ne pas qu’elle gèle. Quand on protège contre le gel, c’est l’équivalent de 40 terrains de soccer qu’il faut protéger toute la nuit. C’est du travail! »

Quand le hasard fait bien les choses

C’est un concours de circonstances qui a amené David Lemire à acheter la Ferme horticole Gagnon, en 2004. Originaire de Baie-du-Febvre, il avait 12 ans lorsque ses parents ont vendu leur ferme laitière. Les années ont passé, puis il a commencé à offrir ses services pour réaliser des travaux agricoles à forfait. Comme il travaillait dans le coin, c’est un ami qui lui a parlé de la ferme.

« La ferme avait été vendue par M. Gagnon en 1999 à un groupe d’actionnaires qui venaient de Victoriaville, raconte-t-il. Ça s’est appelé Ferme Équinoxe pendant quelques années. Avec un de mes amis, j’ai travaillé pour ce groupe d’actionnaires. On avait notre petite business. Au lieu d’être salariés, on s’occupait de leurs fraises et, en échange, on produisait des légumes qu’on leur vendait au prix du marché. »

« Après cinq ans, l’entreprise est tombée en médiation, poursuit M. Lemire. Ils nous devaient entre 25 000 et 30 000 $ de légumes. Je leur ai proposé, le temps qu’ils se trouvent un acheteur, de louer l’entreprise pour compenser les intérêts sur la dette. Dans le temps, c’était de l’autocueillette et un kiosque à la ferme. »

M. Lemire et son associé ont donc pris le relais de cette façon en 2003. L’année suivante, comme il n’y avait toujours pas d’acheteur, la Financière agricole du Québec a accepté de leur prêter l’entièreté du montant nécessaire pour acquérir la ferme. C’est ainsi, alors âgé d’à peine 25 ans, que David Lemire est devenu propriétaire de l’entreprise.

« J’ai fait un bout de chemin avec Alexandre Tourigny, qui était mon associé dans le temps, mentionne M. Lemire. Après huit ans, il a réorienté sa carrière et j’ai continué seul jusqu’à ce que je m’associe avec David Vaudrin, propriétaire des Jardins Fruités, en 2018. »

Dans la même période, les deux nouveaux associés ont également acquis les 45 hectares de terre des Jardins Dugré, une ferme bien connue pour son maïs sucré, ainsi qu’une production de bleuets sur le rang Saint-Nicolas. De plus, depuis trois ans, ils ont une pleine production de framboises sous tunnel sur un hectare.

L’entreprise bien établie à Trois-Rivières emploie annuellement quelque 160 personnes en haute saison, dont 42 travailleurs étrangers.