Agression sexuelle : une autre justice pour redonner du pouvoir aux victimes

«On est témoin d’un immense changement… et ce changement est positif», croit Sarah Bureau parlant des affaires Salvail et Rozon et de la prise de parole de ceux et de celles qui ont osé révéler des histoires d’inconduite et d’agression sexuelles.

Elle soutient que de façon générale, l’actuel mouvement de dénonciations est plus positif que ce qui s’était produit lors de l’affaire Guy Cloutier. «Cette fois, il n’y a pas de chasse aux sorcières pour savoir qui étaient ses victimes.»

Reste que, encore une fois, il semble qu’il soit difficile d’accueillir sans jugement le témoignage des victimes et que dans le cas d’Éric Salvail, ils donnent lieu à de l’homophobie, toujours selon Mme Bureau.

Sarah Bureau est cette Victoriavilloise qui, enfant, avait été victime d’inceste et qui, des années plus tard, a dénoncé, poursuivi et même confronté son agresseur, un ex-amant de sa mère.

Depuis, Mme Bureau témoigne là où on l’invite – elle l’a notamment fait pour la minisérie documentaire «Justice» diffusée l’an dernier – et milite pour une justice réparatrice, qu’elle appelle aussi «restaurative ou alternative».

Elle dit que non seulement, les victimes ont des droits. «Mais il faut aussi leur redonner du pouvoir.»

Elle explique que lorsqu’elles dénoncent, les victimes, les «survivants et survivantes» comme elle les appelle aussi, éprouvent les mêmes émotions vives et douloureuses qu’au moment où elles ont subi les agressions, qu’elles se soient déroulées il y a un, dix ou trente ans. «Elles vivent de la honte et de la culpabilité, se sentent responsables.»

«Cela fait trop mal»

Ce n’est pas la première fois qu’elle l’avance, mais elle affirme que la justice pénale prive en quelque sorte les victimes de leur droit d’agir, comme si elles ne devenaient que les témoins de leur propre histoire. «Si bien des victimes ne portent pas plainte, c’est parce cela fait trop mal, que les procédures sont longues et fastidieuses. Dans des affaires d’agression sexuelle, pour être bien représentée par un procureur, il faut être jeune, forte, hyper articulée, intelligente, capable de dire ce qui est arrivé et de bien s’en souvenir!», explique-t-elle.

Une autre justice

Sans dire que la justice pénale soit à dédaigner, elle revendique la possibilité que les victimes aient accès à une autre justice, «une justice privée, équitable, impartiale, gratuite, personnelle, relationnelle, discrète».

C’est, croit-elle, ce qu’offre la justice réparatrice, la possibilité, en toute discrétion, de faire face à son agresseur ou, si ce n’est pas possible, à l’auteur d’un crime apparenté. Comme pour n’importe quelle autre séance de médiation, les deux parties doivent être d’accord pour se rencontrer.

Ayant elle-même participé à des rencontres entre victimes et agresseurs et ayant aussi confronté son agresseur, Sarah Bureau dit en être ressortie moins souffrante qu’à l’issue du procès. «Par cette mesure, les victimes reprennent enfin du pouvoir sur leur vie.»

La mesure de justice «restaurative» fait partie de la législation française depuis 2012, Sarah Bureau ayant fait partie de ceux et celles qui avaient convaincu la ministre de la Justice française de l’instaurer. Il y est nommément stipulé «que constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la préparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission».

La Victoriavilloise aimerait qu’il en soit de même au Canada. Elle en a d’ailleurs soufflé mot à la ministre fédérale qu’elle a rencontrée au printemps dernier. Elle souhaiterait que la mesure de justice restaurative soit enchâssée par la loi fédérale, ce qui, selon elle, garantirait des fonds aux organismes chargés de la mettre en œuvre.

Elle prendra d’ailleurs la parole au colloque annuel des organismes de justice alternative du Québec en mai prochain, les invitant à appuyer sa demande.

Parlant de ressources financières, elle craint que ce million $ promis par Québec pour aider les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) à répondre à l’actuel flot d’appels ne serve qu’à «patcher des trous». «Depuis des années, les CALACS sont sous-financés. Le million $ annoncé ne servira qu’à gérer la crise de l’automne des carrés noirs!», s’exclame-t-elle.

Sarah Bureau ne fait plus partie du conseil d’administration du CALACS Unies-vers-elles. «C’était trop dur pour moi.» Mais elle continue de croire à la pertinence de sa mission, répétant aux victimes le message de sa directrice générale, Lise Setlakwe. «Appelez au CALACS (819 995-0755); il faut sortir de votre isolement.»