L’écrivain et cinéaste Claude Fournier s’éteint à l’âge de 91 ans
MONTRÉAL — L’écrivain et cinéaste Claude Fournier est mort jeudi après-midi à l’âge de 91 ans.
Né à Waterloo en 1931, Claude Fournier est, avec son frère jumeau Guy, l’aîné de six enfants.
Son frère Guy a confirmé son décès en entrevue à La Presse Canadienne. Claude Fournier était hospitalisé au Centre hospitalier de l’Université de Montréal depuis une semaine en raison de problèmes cardiaques.
Il affirme que son départ laisse un grand vide, alors que les deux hommes — «des jumeaux identiques», rappelle-t-il — se voyaient presque tous les jours, comme ils résidaient à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, à L’Île-des-Sœurs.
«Ça va faire étrange de vivre sans lui… parce que c’était plus qu’un frère. C’était vraiment… On a fait toutes nos études ensemble, on a fait du cinéma ensemble, on a fait de la télévision ensemble, on a toujours tout fait ensemble ou à peu près», se souvient Guy Fournier, la voix chargée d’émotion.
Après des débuts comme journaliste au quotidien «La Tribune» de Sherbrooke, Claude Fournier fait ses armes à l’Office national du film, où il réalise des documentaires tels que «Télésphore Légaré, garde-pêche», «Alfred Desrochers, poète» et «La lutte».
En 1970, ce vétéran du cinéma québécois signe son film mythique «Deux femmes en or», qu’il scénarise également et qui obtient un grand succès commercial, attirant deux millions de spectateurs à sa sortie. Monique Mercure et Louise Turcot y interprètent les deux femmes du titre, des voisines lasses de ne pas recevoir l’attention de leur mari et qui plongent par conséquent dans plusieurs aventures sexuelles.
Son frère Guy se rappelle d’ailleurs d’un différend qu’ils ont eu, son frère et lui, au sujet de «Deux femmes en or», alors qu’ils travaillaient ensemble dans leur société de production Onyx Films.
«Je ne voulais pas qu’on produise ce film parce que, à ce moment-là, notre compagnie vivait beaucoup de la publicité et, comme je trouvais que le scénario était extrêmement osé, j’avais dit à Claude (…) qu’il ne fallait pas produire ce film-là parce que les agents de publicité ne nous feront plus confiance», rapporte-t-il.
Les Québécois connaissent la suite: ils ont bel et bien produit le film, qui est considéré comme l’un des plus lucratifs de l’histoire du cinéma québécois.
«Mon frère a toujours fait des gorges chaudes quand on parlait de “Deux femmes en or” parce qu’il trouvait vraiment que j’avais manqué de vision et, effectivement, j’en ai manqué parce que le film a fait, pour l’époque, une fortune», dit Guy Fournier, se remémorant ces bons moments.
Par la suite, avec sa conjointe Marie-José Raymond, Claude Fournier fonde la société Rose Films et lance des films comme «La Pomme, la Queue et les Pépins», «Je suis loin de toi mignonne» et «Les Chiens chauds».
Après avoir offert une adaptation du classique de Gabrielle Roy «Bonheur d’occasion» en 1984, il adapte son propre roman, «Les Tisserands du pouvoir», sur l’exode de familles canadiennes-françaises vers les usines de textile aux États-Unis. Il propose également la comédie «J’en suis!», avec un jeune Roy Dupuis dont le personnage décide de se faire passer pour un homosexuel afin de travailler dans le milieu artistique.
Son dernier film, «Je n’aime que toi» (2004), raconte l’histoire d’un écrivain (Michel Forget) qui s’éprend d’une prostituée (Noémie Godin-Vigneau).
Claude Fournier n’a pas que les yeux tournés vers le grand écran et il signe quelques séries télévisées au cours de sa carrière, dont «Juliette Pomerleau» et «Félix Leclerc».
Cette dernière série, présentée à Radio-Canada, attire toutefois son lot de controverses et se termine même par une poursuite judiciaire.
Au lendemain de la diffusion du premier épisode le 2 mars 2005, le directeur général de la programmation télé à Radio-Canada, Mario Clément, déclare lors d’une conférence de presse téléphonique qu’il s’agissait là de l’une des plus mauvaises séries qu’il ait vues à la télévision.
«Je n’aime pas la réalisation, les textes et les acteurs», lance-t-il aux médias.
Le couple Fournier-Raymond reproche alors à M. Clément d’avoir mené un «travail de sape» à l’égard de sa série et se tourne vers les tribunaux.
Francis Leclerc, le fils de Félix Leclerc, témoigne au procès et déclare qu’à son avis, la réputation de son père avait été beaucoup plus écorchée que celle de Claude Fournier et de Marie-José Raymond à la suite de la diffusion de la série controversée.
Claude Fournier a également l’occasion de toucher à la politique municipale en se faisant élire conseiller de Saint-Paul-d’Abbotsford, en Montérégie, en 2005. Il demeure en poste jusqu’à l’élection suivante, en 2009.
Plus tard, le cinéaste se consacre entièrement au projet «Éléphant: mémoire du cinéma québécois», qui vise à conserver le patrimoine cinématographique québécois et à le mettre en valeur.
«Ce que j’aime le plus dans ce projet, c’est qu’une nouvelle génération de Québécois découvre des œuvres qu’elle n’aurait pas pu découvrir autrement, a expliqué Claude Fournier dans une entrevue à “La Voix de l’Est”, en 2009. Je reçois des messages des jeunes qui “trippent”, comme ils disent, en voyant ce que notre cinéma offrait dans les années 1950, 1960 et 1970.»
Claude Fournier et sa conjointe ont reçu en 2015 le prix Lise-Dandurand de l’organisme Ciné-Québec pour souligner leur travail dans ce projet.
Appui au peuple ukrainien
Dans la dernière année, M. Fournier manifestait régulièrement son opposition à la guerre en Ukraine et son appui au peuple ukrainien, comme l’a rappelé son ami Serge Sasseville, qui l’a connu lors du projet Éléphant.
«Je suis bouleversé, c’était un ami proche, j’ai annulé tout ce que j’avais ce soir», indique en entrevue M. Sasseville, qui est conseiller à la Ville de Montréal.
M. Sasseville raconte qu’il diffusait quotidiennement l’hymne national ukrainien ainsi que les sons de sirènes et de tirs que les Ukrainiens entendent devant le consulat russe, en face duquel il habitait, depuis le 15 mars 2022.
«Claude était là tous les jours, des fois avec Marie-Josée, et des fois tout seul, devant le consulat général de Russie. Il prenait vraiment cette cause-là à cœur. (…) Claude, évidemment, n’a pas le même devoir de réserve que moi comme élu, alors il y allait fort dans l’utilisation d’épithètes pas très flatteuses à l’égard de Vladimir Poutine», ajoute-t-il.
Ils ont manifesté ensemble une dernière fois devant le consulat il y a trois semaines, avant que M. Fournier ne parte en voyage. C’est au retour que ses problèmes cardiaques se sont manifestés.
Nombreuses réactions
Sur les réseaux sociaux, les hommages se multiplient à l’annonce de son décès, jeudi soir.
«Claude Fournier laisse un grand héritage au cinéma québécois. Je pense aux films “Deux femmes en or”, “Les chats bottés”, “Bonheur d’occasion”, sans oublier son livre “René Lévesque, portrait d’un homme seul”. Mes condoléances à sa famille, ses amis, ses proches», écrit le premier ministre du Québec François Legault sur Twitter.
Plusieurs députés soulignent aussi sa contribution à la culture québécoise, dont le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois. «Un grand cinéaste nous a quittés. Le Québec se souviendra toujours des œuvres mémorables de Claude Fournier», indique-t-il dans un gazouillis.
«J’aimais beaucoup Claude Fournier qui nous quitte. Parmi l’ensemble de ses œuvres, j’ai été marqué par la série “Les Tisserands du Pouvoir” qui se déroule en Nouvelle-Angleterre où des familles entières de Québécois s’exilent pour aller travailler dans les usines américaines», affirme de son côté le député péquiste Pascal Bérubé.
Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, fait également part de ses pensées sur le réseau social.
«C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Claude Fournier, une icône du cinéma québécois, dont l’impact sur notre culture a été immense», souligne-t-il.
Le Bloc québécois met de l’avant dans un gazouillis la «figure marquante de notre cinéma» qu’est M. Fournier, disant que «Le Québec se souviendra».
«Claude Fournier a fait de notre culture, de notre cinéma, sa passion et le centre de ses engagements. Sans sa contribution et celle de Marie-José Raymond, Éléphant n’aurait pas vu le jour», affirme sur Twitter l’homme d’affaires Pierre Karl Péladeau.