La démocratie a du plomb dans l’aile

L`arrêt de l`enquête Mâchurer par l`Unité permanente anticorruption (UPAC) remet à l`ordre du jour la fragilité de notre système démocratique. À ce sujet, l’article1 «Un stratagème sans stratège» de Jean-François Lisée paru récemment dans Le Devoir me fait sentir orphelin. Je ne peux m’empêcher de ramener à l`avant-plan l`ex-députée d`Arthabaska Sylvie Roy qui nous a quittés trop tôt. Première politicienne à avoir exigé une commission d`enquête sur la construction dès 2009. Voici ce qu`elle disait au sujet de la commission Charbonneau suivi d’une question qui a ébranlé Le Parti libéral du Québec sur la collusion : 

« Si j`avais écrit un scénario comme celui-là et que je l`avais envoyé à des réalisateurs, on m`aurait dit que c`était de la science-fiction. » 

« Est-ce que le ministre de la Sécurité publique, dans ses vérifications, a appris que le premier ministre sait qu`il y a trois ministres qui ont été sur le bateau d`Accurso? » 

Grâce à sa perspicacité et après plusieurs années de pressions politiques, la Commission d`enquête sur l`octroi et la gestion des contrats publics dans l`industrie de la construction (CEIC) étaient créée en 2011 par le premier ministre du Québec Jean Charest. À l`époque, elle suscita beaucoup d`espoir. De fait, les cotes d`écoute dépasseront celles des commissions Gomery et Bastarache. 

Dix ans plus tard, la fermeture de l`enquête Mâchurer sur les allégations du financement illégal au Parti libéral du Québec soulève de nombreuses questions. Comment expliquer ces résultats extrêmement décevants considérant l`ampleur des enquêtes menées par l`UPAC? A la suite de nombreuses révélations2 et des propositions d`accommodements3, la justice a-t-elle suivi son cours? L`arrêt Jordan4 de la Cours suprême du Canada a-t-il  compromis le processus conduisant à instruire le procès des personnes suspectées d`actes criminels? Souvenons-nous! Des dizaines de procès ont avorté. 

En raison du cynisme de la population envers la classe politique et les institutions, aurait- il fallu que les diverses instances choisissent d`aller jusqu`au bout? La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire peut-elle avoir eu des effets pervers? A-t-elle empêché notre système d`agir en sentinelle pour défendre notre démocratie? 

Les médias ont couvert abondamment les défis que représentait l`arrêt Jordan. Le Parti québécois a même évoqué l`urgence d`utiliser la clause dérogatoire. Tous ces garde-fous n`auront pas suffi à faire changer le cours des événements. Dans ce contexte de stupéfaction, comment allons-nous concrétiser notre attachement à la démocratie? 

Avec autant de questions en suspens, tourner la page aura assurément des impacts sur la participation citoyenne lors des prochaines élections municipales, provinciales et fédérales. Pour contrer cette désertion, il reste à espérer que les exemples d`engagement, de détermination, d`intégrité et de ténacité de Mme Roy sauront inspirer la majorité. 

Devant la vulnérabilité de notre système démocratique, il nous incombe de le protéger. 

1 Article paru le 1er mars 2021 dans Le Devoir 

2 Rapport final de la CEIC, tome 2 – Récit des faits 

3 Programme de remboursement volontaire (PRV) qui a permis à Québec de récupérer auprès d’entreprises frauduleuses un total de 94,7 millions de dollars 

4 Arrêt qui limite la durée des procédures judiciaires, les plafonds étant fixés à dix-huit mois pour la durée totale d`un procès à la cour provinciale et à trente mois pour les cours supérieurs 

Normand Jarry 

Citoyen