«Le Diable de la Côte-Nord» dévoile le vrai visage d’un héros déchu des pères oblats

Un journaliste natif de Victoriaville signe, avec une collègue, un livre qui décrit comment un missionnaire jusqu’ici considéré comme un héros de la religion catholique s’est comporté comme «Le Diable de la Côte-Nord».

David Prince, qui a quitté Victoriaville il y a plus de 25 ans pour étudier en journalisme à Jonquière, publiait cette semaine son livre «Le Diable de la Côte-Nord», qu’il a réalisé avec Magalie Lapointe. Ce bouquin est le résultat de deux ans de travail sur le «règne» d’Alexis Joveneau, un père oblat originaire de la Belgique qui a agi comme missionnaire auprès des Innus de la Côte-Nord, dès le début des années 1950.

«Ils l’ont tout de suite pris pour un Dieu», fait valoir l’homme de 44 ans, choqué de voir comment le religieux usait de son charisme et de son extrême intelligence pour arriver à ses fins.

Elles brisent le silence

Pendant une quarantaine d’années, le missionnaire a eu une emprise incroyable sur les citoyens de la Romaine, Unamen Shipu et Pakuashipi, où il a agressé sexuellement des dizaines de victimes parmi les Innus et les Blancs, ainsi que sa propre nièce, Marie-Christine Joveneau.

«Non seulement ce curé était un délinquant sexuel de la pire espèce, c’était également un voleur, un menteur et un manipulateur qui, toute sa vie, a chargé à sa communauté la fortune personnelle qu’il avait amassée sur le dos des plus pauvres», peut-on lire dans l’introduction du livre.

Plus de 25 ans après sa mort, les victimes ont commencé à parler. Magalie Lapointe s’est rendue dans cette communauté isolée, à l’hiver 2018, au terme d’un périple dangereux en motoneige. Elle a recueilli des témoignages et n’a cessé par la suite de documenter le dossier, supervisé par David Prince. «Au début, les victimes avaient peur de ne pas être crues», ajoute ce dernier.

Chaque jour, les deux collègues trouvaient de nouvelles informations troublantes et se demandaient ce qu’ils allaient trouver le lendemain. «J’espère que les gens qui vont lire le livre vont partager l’indignation qui nous a habités pendant ces deux ans», exprime le Victoriavillois d’origine.

Si le témoignage-choc de la nièce de Joveneau commence le livre, la suite de l’histoire est bien dosée. «Ce n’est pas 250 pages d’agressions sexuelles», assure M. Prince. Sans être un ouvrage historique, le livre décrit comment vivait la communauté innue, son passage de la vie nomade à la sédentarité, l’épisode de la déportation, etc.

Changer les choses

Celui qui signe son premier ouvrage insiste sur les documents crédibles et souvent inédits qu’il a consultés, avec sa collègue, pour s’assurer de la véracité des faits rapportés. «C’est la plus grande enquête journalistique que je ne ferai jamais. C’est un beau projet. On a mis toutes nos énergies là-dedans», affirme l’homme qui habite actuellement en Abitibi, où il a longtemps dirigé les journalistes des hebdos régionaux.

M. Prince était de passage à Victoriaville, peu de temps après le lancement du livre, disponible dans la plupart des grandes librairies de la région, comme partout au Québec. Déjà, l’ouvrage fait réagir.

Par exemple, un prof de philosophie au Cégep de Victoriaville lui a dit qu’il serait intéressant d’analyser dans ses cours la double personnalité de Joveneau.

«Même s’il est mort, ça a encore des impacts aujourd’hui dans ce petit village de gens agressés. C’est tough pour eux de passer à autre chose. Ce livre-là a une portée sociale importante. (…) Je suis vraiment fier. Ça peut changer les choses», conclut-il.