Itinérance : un regard qui peut tout changer

Profondément humain, Jean-Marie Lapointe a pris la parole, jeudi soir, au Cégep de Victoriaville, invité par la Concertation pour contrer la pauvreté et l’appauvrissement pour souligner la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté.

«Personne n’est à l’abri des intempéries de la vie. Cette activité de sensibilisation vise à vous partager cette réalité, à briser les préjugés et aussi  à vous démontrer que cette lutte est menée par des actions concrètes avec l’espoir de remédier aux inégalités sociales», a indiqué, d’entrée de jeu, Christian Paquin, agent de formation et à la mobilisation à la Corporation de développement communautaire des Bois-Francs (CDCBF).

C’est lui qui a présenté le conférencier, un homme aux multiples talents, animateur, comédien, musicien, athlète, conférencier, auteur et producteur. «Un homme qui fait preuve d’empathie et de compassion, un homme très engagé qui consacre de nombreuses heures au  bénévolat auprès d’organismes à vocation humaine ou sociale», a souligné M. Paquin.

Christian Paquin de la CDCBF a présenté le conférencier. (Photo www.lanouvelle.net)

Jean-Marie Lapointe, c’est l’homme derrière les documentaires «Fin de mois» et «Face à la rue», cette dernière série présentée d’abord à Moi et cie, et maintenant à TVA.

Il parle de «rencontres extraordinaires, de la générosité et de la grande vulnérabilité des gens». «Nous sommes chanceux d’avoir eu accès à tant de générosité, de vulnérabilité. La très grande majorité des personnes que nous avons approchées ont accepté de raconter leur histoire, a souligné Jean-Marie Lapointe. Ces gens ont ouvert leur cœur avec un désir sincère que leur participation puisse aider à ce qu’on cesse de les traiter comme de la marde, comme des sous-humains.»

Jean-Marie Lapointe et son équipe se disent fiers d’avoir contribué à changer le regard vis-à-vis les personnes en situation d’itinérance. «Ces gens sont habitués à des regards de mépris, d’ignorance, de rejet, d’abandon, a-t-il constaté. Mais le contraire est en train de se produire.»

Jean-Marie Lapointe reçoit des lettres, on offre des vêtements, des enfants souhaitent apporter leur contribution envers ces personnes.

Un modèle

Jean-Marie Lapointe voue un grand respect à son papa Jean, l’artiste, l’humoriste, le sénateur, qu’il considère comme premier modèle. «Il m’a appris à ne pas juger l’alcoolique, le toxicomane, la personne aux prises avec une dépendance», a-t-il raconté.

Il se rappelle d’ailleurs avoir accompagné son père le 24 décembre auprès des résidents en thérapie fermée à la Maison Jean-Lapointe.

Le conférencier a relaté aussi son premier contact avec Jacques, surnommé «Bandeau», qui traîne avec d’autres sous le pont Jacques-Cartier.

Jean-Marie Lapointe admet qu’il espérait que le feu rouge passe rapidement au vert pour poursuivre sa route. «Je faisais semblant de ne pas le voir. Mais quand j’ai démarré, Bandeau m’a lancé : hé, mon chum, salut, bonne journée!»

En chemin, Jean-Marie n’a cessé de se remémorer les paroles de l’homme. Le lendemain, il décide d’aller à sa rencontre. «J’ai jasé avec lui, il m’a expliqué sa vie. Je n’étais plus dans le jugement, mais dans la compassion et la compréhension. C’est là véritablement qu’a commencé la série Face à la rue», a-t-il expliqué.

(Photo www.lanouvelle.net)

Mais pour la réaliser, il lui fallait des intervenants solides, comme André «un top intervenant» de l’Accueil Bonneau, qui a vécu lui-même la rue.

«Quand j’ai des questions, je fais appel à André qui me conseille. Doit-on donner aux personnes? Il m’a répondu : si tu as envie de donner, tu donnes, ensuite ça ne t’appartient pas. La personne est libre de faire ce qu’elle veut.»

Et que la personne utilise ensuite l’argent pour sa consommation peut être positif, a fait valoir le conférencier. «Une personne, en situation de sevrage, peut aller faire des mauvais coups, des vols, pour consommer. En la soulageant, on réduit les méfaits», a fait savoir Jean-Marie Lapointe.

Ensuite, une fois calmée, la personne peut se montrer plus réceptive à des services d’aide.

Une série marquante

«La série Face à la rue n’a été que ça, des retrouvailles, des marques d’amour, d’affection, de leçons de vie», a exprimé Jean-Marie Lapointe, tout en relatant les retrouvailles d’un père et de son fils.

Lui-même a vécu une expérience émouvante avec Mélanie qui avait besoin d’amour et qu’il a prise dans ses bras, ce qu’il n’a jamais pu faire avec sa maman alcoolique, morte à 49 ans. «J’ai pensé à ma maman. Par procuration, j’ai pu bercer ma mère. C’est venu guérir quelque chose en moi. C’est juste ça, «Face à la rue», des guérisons, des miracles, des marques d’affection, de la résilience», a-t-il fait valoir.

Mais il n’aurait pu agir ainsi avec Mélanie, a-t-il dit, s’il n’avait pas souffert de la mort de sa mère. «Car la compassion vient des épreuves, de la souffrance, des claques sur la gueule.»

Période de questions

Généreux, Jean-Marie Lapointe a fait fi de la quinzaine de minutes prévues pour répondre, pendant une bonne demi-heure aux questions des participants.

Que doit-on faire pour combattre les préjugés?, lui a-t-on demandé. «Gandhi disait : vous devez être les changements que vous voulez voir dans le monde. Si on veut combattre les préjugés dans la société, on doit la combattre nous-mêmes, prêcher par l’exemple et incarner ce changement», a-t-il répondu.

Une façon simple aussi de combattre les préjugés réside dans le regard. «Sans donner de l’argent à la personne, baissez la vitre,  regardez la personne et dites-lui bonjour, a suggéré Jean-Marie. Beaucoup de gens dans la rue nous l’ont dit : vous saviez comment ça  fait du bien quand les gens s’arrêtent et viennent nous voir en nous saluant. Juste le temps d’un arrêt et d’un bonjour, ça fait ma journée.»

Pour Jean-Marie Lapointe, un simple regard, un sourire, un bonjour peuvent faire une différence pour ces personnes trop souvent habituées au mépris. «En faisant cela, tu le fais sentir qu’il est un être humain. Si plein de gens le font, ces personnes auront le sentiment qu’elles ont une valeur. Un petit geste vaut mieux que l’indifférence, a-t-il plaidé. Cette petite différence faite collectivement peut avoir un impact, j’ose croire.»

Enfin, la rue n’est pas un choix, mais «une absence de choix», a soutenu le conférencier, précisant que nul n’est à l’abri. «J’ai appris que ça peut-être moi qui ai arrêté de consommer il y a 10 ou 12 ans. Mais s’il m’arrivait quelques coups durs et que je recommençais à consommer pour geler mon mal, je ne sais pas où cela me mènerait. Ceux qui sont dans la rue m’ont enseigné que ça peut-être moi ou n’importe qui. Il faut donc que je les aime, que je les traite avec compassion sans jugement», a-t-il conclu.