L’Expo de Victo : une question de fierté pour les agriculteurs

Il fût un temps où l’on se rendait à l’Expo pour fêter, mais aussi pour défendre son honneur. Gilles Tourigny s’y rend depuis 55 ans avec la Ferme Deslacs. Son fils Stéphane et lui témoignent de l’importance de la tenue de l’événement agricole pour la région.

Gilles Tourigny a 17 ans, en 1963, lorsqu’il s’inscrit pour la première fois à l’Exposition agricole de Victoriaville. «J’ai reçu un premier prix, j’étais content, mais je ne savais pas trop comment ça fonctionnait», raconte-t-il. Ses cousins y participaient depuis 1957. Alors quand arrivait le temps de l’Expo, il demandait à ses parents, année après année, la permission d’y prendre part. Devant l’engouement de Gilles, son père, Antonio Tourigny (dont une salle du pavillon Agri-Sports porte le nom), achète des animaux pur-sang.

Le temps des taureaux

L’agriculteur se souvient de la hâte ressentie le lundi matin. «Ça pressait de rentrer les animaux.» Le camionneur engagé pour transporter le bétail exécute son ouvrage à l’aide d’un camion non recouvert. «Les animaux avaient la tête en l’air. Nous, on s’en venait en ville», se rappelle-t-il.

Dans les années 1960 et 1970, un bon «exhibit», comme on dit dans le jargon pour parler des animaux choisis pour représenter un troupeau, doit compter au moins un taureau. «Pour attirer les gens, on amenait un gros taureau, de trois ou quatre ans, malin assez souvent.»

Lors du déchargement des boeufs, les jeunes Victoriavillois s’attroupent pour assister au spectacle. «On leur demandait de rester calme, mais quand la bête sautait sur le panneau, ils se mettaient à crier», raconte M. Tourigny.

Il se souvient d’un agriculteur de Saint-Élizabeth, Éphrem Fortier, dont le taureau s’était échappé sur le terrain de l’Expo. «Le bœuf courait et a frôlé un gros Buick Wildcat. Il l’a tassé de deux pieds.»

Vu le danger, la classe des taureaux a disparu au début des années 1980.

Bien des pratiques ont changé. Par exemple, Gilles Tourigny a déjà dormi, à l’instar des autres participants, à même les fermes du site de l’Expo. La chaleur accablante ne freinait pas leur joie de s’y retrouver.

M. Tourigny évoque aussi le fermier Eddy Verville. «C’était lui qui vivait le plus près. Il arrivait à pied avec ses animaux et s’en retournait de la même façon le dimanche.»

Jeunes ruraux

En 1996, Stéphane Tourigny devient copropriétaire, avec son frère Carl, de la Ferme Deslacs. Il l’admet d’emblée : «je suis né au mois de mai et au mois d’août j’étais à l’Expo». Non, il ne dort pas dans l’étable. Dans les années 1970, son père possède une roulotte.

Stéphane s’engage dans les jeunes ruraux en 1983, à l’âge de 10 ans. «Dans les petites étables, il y avait de l’ambiance. Tous les jeunes de mon âge faisaient partie des 4-H. On participait à des activités et nous nous connaissions tous. On travaillait, mais le soir, c’était le party.» Il note qu’à cette époque encore, les festivals ne pullulent pas comme aujourd’hui. La foire agricole de Victoriaville symbolise les vacances. Le banquet des jeunes et les manèges amplifient ce sentiment qui marquera sa jeunesse.

Le bonne génétique

Participer à l’Expo coûte plusieurs milliers de dollars. Le commerce des vaches a longtemps pallié cette dépense. Mais la réalité a changé. «Plus tu gagnes de concours, plus ton animal prend de la valeur et plus tu vas vendre de ses embryons ou de ses descendants directs», exemplifie Stéphane Tourigny. Or, ce commerce périclite depuis quelques années. Le  World Dairy Expo du Wisconsin et la Foire royale d’hiver de l’agriculture à Toronto rapportent davantage.

«L’agriculture, c’est difficile. Les gens ont moins d’argent pour investir dans des bêtes élites. Les agriculteurs se concentrent sur leur production de lait, car c’est la seule source de revenus qu’ils ont», constate le producteur.

Mais il n’y a pas que l’argent immédiat qui compte. «Notre région est très forte en génétique. Même dans le temps de mon père, quand tu gagnais à l’Expo de Victo et que tu arrivais à la provinciale, tu étais bien près de gagner aussi.» Selon Stéphane Tourigny, le calibre régional reste très élevé encore aujourd’hui, quant au commerce, il s’agit d’un cycle. Lorsque le marché se portera mieux, il faudra disposer d’un bon troupeau. Les modèles types changent rapidement et des investissements s’avèrent nécessaires pour rester compétitifs. En attendant, le réseau de contacts tissé à la faveur des rassemblements régionaux amène des gains indirects.

Reste l’honneur

Pour les participants, l’amour-propre fait partie de l’équation de toute foire agricole. L’année dernière, la Ferme Deslacs a remporté le prix de la Grande Championne et du Meilleur Éleveur. Puisque la concurrence s’intensifie toujours, les deux hommes n’osent pas se prononcer sur les résultats de la présente édition. Comme dans n’importe quelle compétition, tous tentent de conserver leurs titres.

Cette année, l’Expo de Victoriaville présente 310 bêtes provenant des 57 fermes exposantes.