«Salut, mon chum!»

HOMMAGE. «Salut, mon chum!» C’est comme ça que tu m’accueillais tous les jours quand je me présentais à l’aréna pour assister aux entraînements. C’est comme ça que tu répondais quand je te téléphonais… très souvent, trop, parfois. En dehors du monde du hockey, on ne se fréquentait pas. On n’était pas des amis proprement dits. On n’a jamais partagé une bière, ni même une ronde de golf.

«Salut, mon chum!», c’était toutefois sincère, nul doute dans mon esprit. Pas seulement pour moi, mais pour tous ceux à qui tu réservais cet accueil, ceux pour qui tu avais de l’estime, ceux que tu respectais.

Le respect, justement, c’est l’héritage le plus précieux que tu laisses aux Tigres, à la LHJMQ et à ton entourage. Le milieu du hockey, parfois rongé par la cupidité et l’orgueil, laisse tantôt place à la duperie, tantôt aux mensonges ou au mépris. C’est un milieu hostile, parfois même un peu barbare. Il y manque bien souvent cruellement de respect. Mais toi, tu n’as jamais mangé de ce pain.

Tu n’as jamais regardé personne de haut, ni de loin. Tu as toujours voué un grand respect à tes pairs, les partisans et même les gérants d’estrade les plus frondeurs. Parce que tu savais que, comme toi, le hockey les passionnait plus que tout. Que sans eux, le hockey ne serait pas le même. Que jadis, tu occupais leur siège.

Les médias locaux, ceux qui, sans les moyens des grands centres, font l’impossible pour livrer le plus fidèlement le quotidien de l’équipe du coin, ont toujours été importants pour toi. C’est loin d’être le cas de tous. Plusieurs de tes confrères préfèrent les projecteurs des grosses boîtes médiatiques du monde du hockey junior, peut-être par vanité ou par soif de prestige. Toi, tu disais ne pas vouloir te prêter à ce jeu. Tu préférais informer les amateurs de hockey junior d’ici d’abord, ceux qui paient ton salaire, qui soutiennent l’équipe. Tu disais respecter davantage le fait que je me faisais des engelures aux doigts tous les jours en assistant aux entraînements. «Mon père, ses nouvelles des Tigres, il les prend dans le journal d’ici, pas d’ailleurs!», me disais-tu alors qu’on regardait l’équipe s’entraîner du haut d’une loge de l’Amphithéâtre Gilbert-Perreault.

De cette loge, d’ailleurs, on a beaucoup échangé, tous les jours depuis que tu avais été promu directeur général. C’était devenu notre rituel. Rater l’un de ses rendez-vous journaliers était presque sacrilège. On y a parlé de hockey, de hockey et de hockey… J’y remplissais mon calepin. Tu te montrais toujours très généreux.

Outre ton respect, tu m’as offert ce qu’il y a de plus précieux pour un journaliste, ta confiance. Je me souviendrai toujours de cette journée d’été où tu m’as appelé pour m’annoncer la terrible nouvelle. J’ai tout fait pour ne pas le laisser paraître, mais ça m’a foudroyé. J’ai tenté, comme toi, de rester droit comme un chêne, de rester fort comme tu l’as été tout au long de ton combat. Tu m’as demandé de ne rien écrire, ce que j’ai accepté sans ambages. La chasse aux primeurs ne tient plus lorsqu’il est question de santé de toute façon.

Tu craignais la réaction des gens. Affaibli par la maladie, tu ne voulais pas perdre la confiance des partisans, de ton patron. À cela je te disais qu’au contraire, tous se rangeraient derrière toi. C’est ce qui est arrivé quand la nouvelle a été médiatisée. Tu as été submergé de messages de soutien. Ça t’avait surpris et beaucoup touché. Il n’y avait pourtant rien d’étonnant. Parce que tu respectais les gens…

Fier de tes origines plessisvilloises, fier d’avoir le privilège de vivre de ta passion dans ta région, près des tiens, tu es devenu directeur général des Tigres après 10 ans de loyaux services sans pour autant être avide d’ambition. Au fil des années, tu as su gagner le respect de ton entourage. Dans l’humilité et la modestie, ça t’a permis de gravir les échelons. Les intérêts de l’équipe ont toujours passé avant les tiens, comme quand tu as fait des pieds et des mains pour orchestrer le repêchage de l’équipe à Sherbrooke, et ce, quelques semaines seulement avant ton opération. Que dire de cette décision déchirante de congédier ton entraîneur. Tu savais qu’elle serait impopulaire, mais tu étais convaincu qu’elle était incontournable au succès de l’équipe. Tu es aussi toujours demeuré dans l’entourage de l’organisation, même durant ta convalescence. Combien de fois t’ai-je suggéré de prendre une pause, de retourner chez toi pour te reposer? «Tant qu’à ne rien faire assieds sur le divan à la maison, je préfère de loin être ici. Ce n’est pas plus forçant!», me rétorquais-tu. Parce que l’aréna, comme tu me l’as souvent dit, était devenu ton repaire tranquille. Ça te permettait de penser à autre chose que la maladie. Tu voulais aussi préserver ta famille du lourd climat qui s’installe lorsqu’un de ses membres est mal en point.

Dans la loge numéro 25 du Colisée Desjardins, il ne se parlait pas seulement de hockey. Il nous arrivait de bifurquer à gauche et à droite, de sortir des sentiers glacés du sport national. Tu me parlais avec fierté de tes deux enfants. Tu étais comblé de les voir si complices. Tu me disais aussi à quel point ta Isabelle t’était précieuse, à quel point ton combat serait vain sans elle. «Je veux que mes enfants aient un père, je veux les voir grandir… en famille», m’avais-tu dit avec émotion. C’était les mots que tu utilisais pour témoigner de ta volonté ferme de vaincre la maladie, coûte que coûte, pour tes proches. Elle aura malheureusement eu raison de toi, non sans peine. Tu auras bataillé ferme jusqu’à la fin, te rendant même jusqu’en Allemagne pour y subir des traitements. Comme lorsque tu étais gardien de but, tu as affiché le «chien» qui te caractérisait sur la glace. À 44 ans, tu es parti beaucoup trop tôt, en ce 24 juillet, pour les tiens, pour les gens d’ici, pour les Tigres, pour moi, pour tous.

Ça met un baume sur le cœur de penser que dans tes temps libres, là-haut, tu travailleras maintenant avec Jacques Plante. Ne trouves-tu pas que Terry Sawchuk se tient un peu trop haut dans son demi-cercle? Que dire de Georges Vézina? Tu lui trouveras sans doute quelques failles… peut-être du côté de la mitaine. Charlie Gardiner doit aussi travailler ses déplacements latéraux, je crois. Et n’oublie pas de veiller sur nous tous.

À mon tour de te le dire, salut, mon chum!