Une réalité qui doit changer

Lorsque la mort de George Floyd a ébranlé le monde entier le 25 mai dernier, le joueur de football victoriavillois Matthew K. Bergeron ne pouvait pas faire autrement qu’être dégoutté par ce qu’il venait de voir. En tant que personne noire, il est touché directement par le mouvement Black Lives Matter. Grâce à cet élan de solidarité, il espère que le changement tant attendu arrivera enfin.

«Le meurtre de George Floyd, c’est la goutte qui a fait déborder le vase. Pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, que ce soit aux États-Unis, au Canada ou ailleurs. Il n’y a pas autant de brutalité policière et de profilage racial au Canada. Les chiffres sont plus importants aux États-Unis. C’est une réalité que je trouve très triste, car depuis que je suis aux États-Unis, je me suis attaché à plusieurs personnes, peu importe leur couleur. Je trouverais ça dommage qu’un de mes meilleurs amis soit arrêté en bordure de la route et que quelque chose lui arrive par la suite. Nous ne sommes pas à l’abri de ça», a déploré le joueur de ligne offensive de l’Orange de Syracuse.

De nature calme et posée, le jeune homme à l’imposante stature (6’05’’ et 300 livres) n’est pas du genre à causer bien des remous à l’extérieur d’un terrain de football. Malheureusement, à quelques reprises, la couleur de sa peau fait en sorte qu’il a été victime de discrimination et de profilage racial pour des choses dont il n’était pas responsable. Fort heureusement pour lui, il n’a pas vécu une histoire d’horreur impliquant de la brutalité policière. «Pour ma part, je n’ai jamais vécu de brutalité policière. Cependant, j’ai déjà vécu de la discrimination et du profilage racial, pas seulement par la police, mais dans la vie de tous les jours. En ce qui concerne la police, j’ai déjà été arrêté pour qu’on me dise que je correspondais, par exemple, à un voleur dans le quartier. Je connais cependant des gens qui vivent dans de plus grandes métropoles qui ont été victimes de brutalité policière. Ça laisse une marque sur un jeune quand ça se produit.»

Nécessairement, pour que ces fâcheux épisodes cessent, des efforts de sensibilisation et d’éducation doivent être faits afin que les personnes de couleur puissent vivre sans la crainte d’être victimes de racisme de toutes sortes. Lorsqu’il dit souhaiter du changement, Bergeron le fait en pensant à ses amis, mais aussi à ses deux petits frères et à sa jeune sœur. «Pour que les choses changent, les gens doivent se rendre compte qu’il y a un problème. Si tu vois tout ça, les chiffres et les vidéos en te disant qu’il n’y a pas de problème, c’est que tu fais partie du problème. Une fois que tout le monde ouvrira les yeux sur le problème, les choses vont changer dans l’attitude de la population, de la police, des employeurs. Je pense par exemple à la dame qui change de trottoir ou qui met la main sur sa sacoche quand elle nous voit. Ce sont de petites choses comme ça qui doivent changer. Je prends ça à cœur, car je ne souhaite pas qu’une situation comme celle de George Floyd arrive à un de mes petits frères, à ma petite soeur ou à mes amis. Ça passe par l’éducation. Tout le monde est sur le même pied d’égalité. C’est seulement la pigmentation de la peau qui change.»

Une mentalité qui évolue

Né à Montréal de l’union d’une mère québécoise et d’un père congolais, Bergeron est arrivé à Victoriaville il y a huit ans en compagnie de sa mère, ses frères et sa sœur. Ville beaucoup plus petite que Montréal, Victoriaville ne mise pas nécessairement sur la plus importante communauté noire du territoire québécois. Malgré cela, Bergeron concède avoir vu un changement positif de la population par rapport à la diversité depuis ces dernières années. «Comparativement à notre arrivée à Victoriaville il y a huit ans, je vois clairement une amélioration dans l’esprit des gens. Ils sont plus ouverts à la diversité qu’à l’époque où notre mère est arrivée dans la région avec nous. Il n’y en avait pas beaucoup, mais là, ça grandit. Je suis content de voir ça, car c’est important. Par exemple, si tu vas à une université dans la région de Montréal, il va avoir de la diversité. C’est primordial d’apprendre à vivre avec ça et de l’accepter pour que ce soit mieux plus tard dans la vie», a soutenu celui qui porte également le nom de famille Kabolambi.

Le joueur de ligne offensive croit également que le football est un sport qui aide la jeunesse de demain à élargir son horizon et apprécier la différence, que ce soit pour la couleur de peau, la physionomie ou les façons de penser. «Ce qui est bien avec le football, c’est que ça attire des personnes de plusieurs mentalités et couleurs. Ces personnes travaillent ensemble pour un but commun. Le fait que tu aies des entraînements difficiles et que les joueurs passent toutes leurs journées ensemble aide à les rapprocher. Le football n’est pas un obstacle pour les personnes de couleur. Ça aide à l’intégration. Le vestiaire compte une cinquantaine de personnes d’un peu partout et ils apprennent à vivre ensemble et même à devenir des amis.»

Des efforts dans le monde du football

Dans les plus hautes sphères du football, la représentation de joueurs noirs est très importante. Par exemple, la NFL ne compte pas moins de 70% de ses joueurs noirs. Jusqu’à tout récemment, la NFL avait toutefois tardé à démontrer du support envers ses joueurs. Il suffit de penser au traitement qu’a vécu le quart-arrière Colin Kaepernick, lui qui a été le premier à poser un genou au sol lors de l’hymne national pour protester contre la brutalité policière en 2016. À l’époque, les propriétaires des équipes de la NFL n’appréciaient pas ce geste. Ultimement libéré par les 49ers de San Francisco, Kaepernick n’a pas été en mesure de se dénicher un nouveau contrat.

Ainsi, désireux de se faire entendre, certaines vedettes noires de la NFL, dont les quarts-arrières Patrick Mahomes (Chiefs de Kansas City) et DeShaun Watson (Texans de Houston), ont publié une vidéo sur les médias sociaux où ils demandaient à la NFL de les laisser protester pacifiquement contre le racisme et la brutalité policière. Le commissaire de la NFL Roger Godell a finalement publié une vidéo dans laquelle il mentionnait que la ligue avait eu tort de ne pas avoir écouté ses joueurs plus tôt. La NFL a également annoncé qu’elle mettrait en place des programmes afin de favoriser l’embauche de personnes de couleur dans des postes de direction parmi les équipes de la ligue puisqu’elles y sont sous-représentées. «Je suis content de voir que la NFL va implanter des programmes pour favoriser l’embauche de personnes de couleur dans des postes de direction au sein des équipes. La ligue voit enfin qu’il y a un problème et elle commence à faire des démarches. Ça va aider et donner l’exemple pour les autres ligues. […] La NFL et la NBA sont les deux circuits avec le plus de joueurs de couleur. Ça part de ces deux grosses ligues pour faire des gestes pour changer les choses. Si, par exemple, un enfant a pour idole LeBron James et que celui-ci est actif pour faire avancer la cause, ça va aider», a estimé le Victoriavillois.

Le mouvement de protestation se fait également sentir dans la NCAA, circuit où évolue Bergeron où différents gestes sont posés afin de faire avancer les choses. «J’ai vu plusieurs personnes qui ont annoncé qu’elles allaient mettre un genou au sol lors des hymnes nationaux. J’ai vu des entraîneurs annoncer leur support à leurs joueurs. J’ai également vu des joueurs annoncer des transferts, car ils n’étaient pas d’accord avec la vision de leur école. Il y a aussi le joueur Chuba Hubbard d’Oklahoma State qui a annoncé qu’il arrêtait de s’entraîner tant qu’il n’y aurait pas de changement. Le porteur de ballon de Mississippi State, Kylin Hill, a pour sa part annoncé qu’il ne représenterait plus cet état tant que le drapeau de celui-ci (sur lequel figure le drapeau confédéré) ne changeait pas.»