Un séjour marquant pour Alain Rajotte chez les Tigres
Amateurs de hockey junior atteints de mélancolie anxieuse en raison d’une trop profonde nostalgie du grand folklore de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, ne lisez pas ce qui suit. Ça pourrait dégrader dangereusement votre état.
Parce qu’il ne suffit que d’un court entretien avec l’ex-entraîneur Alain Rajotte pour replonger dans cette époque ayant marqué l’imaginaire de bon nombre de passionnés de hockey junior.
Rajotte a dirigé les Tigres pendant cinq ans, de 1995 à 2000. Il est le seul, avec Yanick Jean, à avoir guidé la destinée de la formation des Bois-Francs pendant plus de deux saisons, et ce, en 30 ans d’histoire. Au-delà de ses années de service, il est sans l’ombre d’un doute le pilote le plus flamboyant de l’histoire de la concession.
Vingt ans plus tard, Alain Rajotte ne peut toujours pas déambuler à Victoriaville ou dans un aréna du circuit Courteau sous le couvert de l’anonymat. On l’accoste constamment pour parler de cette ère regrettée par plusieurs amateurs de hockey. Rajotte partage encore et toujours généreusement ses anecdotes, certaines frôlant même la pure fiction. «J’ai vraiment fait ça?, lance souvent l’ex-entraîneur lorsqu’on lui rappelle un souvenir farfelu. Quand je croise un ancien joueur, on me raconte souvent des histoires de cette époque. Il s’est passé tellement de choses que je ne me souviens plus de tout.»
Dès son arrivée dans les Bois-Francs, Alain Rajotte a conquis le cœur des partisans des Tigres. Volubile, flamboyant, teigneux, émotif et fervent du jeu robuste, il s’est amené en relève d’un Jean Hamel beaucoup plus blafard.
Rajotte était déjà bien connu dans la province à son arrivée. Sa violente bagarre avec Michel Therrien durant un match opposant les Bisons de Granby au Titan de Laval en 1994 l’avait propulsé à la une de l’actualité. «Michel et moi, on s’y était préparé. Le hic, c’est qu’on ne pensait pas que les gars de la sécurité nous laisseraient passer. On n’a donc pas eu le choix d’aller jusqu’au bout et d’en venir aux coups», se remémore-t-il. Ce duel leur a valu dix matchs de suspension chacun… et de sévères contusions. «Si on compte les points comme à la boxe, j’ai gagné 11 à 2. Si, par contre, on mesure le vainqueur par l’effusion de sang, Michel a gagné sans l’ombre d’un doute. Vous vous souvenez du visage de Georges St-Pierre quand il a gagné son combat même s’il avait le visage tuméfié? J’avais l’air de ça! Dans les estrades, ma femme était occupée à cacher les yeux de mon fils Jason, qui avait 2 ans. Avoir fait ça aujourd’hui, je serais en prison», lance-t-il avec humour.
Ça a été la seule saison passée par Rajotte à Granby, interchangeant son siège avec celui de Therrien l’année suivante, les frères Morrissette ayant décidé d’armer une seule de leurs deux équipes pour remporter la coupe Memorial. Les Prédateurs de Granby avaient été l’équipe ciblée par la mythique famille Morrissette. «Je ne le savais pas au moment de me joindre aux Bisons, mais j’avais été engagé pour passer la moppe. L’année suivante, à Laval, les Morrissette avaient besoin d’argent. Ils avaient donc liquidé tous leurs meilleurs joueurs. Léo-Guy avait accepté de me laisser partir pour ne pas que j’aie à vivre une telle saison. Puisqu’il devait quand même me payer, il a fait des pieds et des mains pour me trouver un nouveau poste rapidement. Seulement deux semaines plus tard, j’étais embauché par les Tigres», partage-t-il.
Dès ses premières semaines à Victoriaville, Rajotte a donné le ton. Très créatif de nature, il a toujours réussi à surprendre ses protégés pour éviter qu’ils ne tombent dans une zone de confort.
«À mon arrivée, l’équipe perdait constamment. J’ai donc dit aux joueurs que s’ils aimaient tant la noirceur, qu’on s’entraînerait sans lumière. Il n’y avait donc que la lueur des lumières de secours dans l’aréna et dans le vestiaire. P.J. Stock était venu me voir, tanné de s’entraîner ainsi depuis trois jours. Je lui ai dit de commencer à gagner pour que la lumière s’allume!», a-t-il raconté.
Il n’a suffi que quelques matchs pour que Rajotte devienne une figure fort populaire auprès des partisans des Tigres. Sa propension pour les bagarres en faisait souvent oublier la marque finale. L’équipe a enregistré son record pour le plus grand nombre de minutes de pénalités en une campagne dès la première saison du Valleyfieldois, aujourd’hui directeur du service des sports au cégep de Thetford Mines. Cette marque tient toujours.
«Dès mon arrivée, j’étais tout feu, tout flamme. Mon niveau de confiance était très élevé… peut-être un peu trop. Mon passage à Victoriaville a été mes plus belles années. L’imaginaire de mes enfants a été marqué ici. Encore aujourd’hui, leurs meilleurs amis sont dans la région. Si je n’avais pas été embauché à Thetford Mines (en 2004), le plan était de revenir s’installer à Victoriaville, d’ailleurs», souligne l’ex-entraîneur.
Alain Rajotte et sa famille ont été très engagés dans la communauté lors de leur séjour dans les Bois-Francs. Quatorze entraîneurs ont défilé au cours des 30 années d’activités de l’équipe. C’est lui qui a marqué le plus profondément la mémoire des amateurs. «Je n’étais pas aussi théâtral que Richard Martel, mais j’étais quand même capable d’en faire des belles», poursuit-il en riant.
On ne compte plus les fois où Rajotte a été expulsé d’un match par un officiel. «Mais c’était toujours planifié. Les gens pensent que je perdais les pédales, mais en fait, tout était prévu. Il arrivait même d’annoncer aux joueurs et à mes adjoints durant un entracte que je serais expulsé dès la reprise du jeu», se souvient-il.
Il agissait ainsi pour attirer les foules, insuffler de l’énergie à sa troupe ou secouer l’adversaire. Son attitude théâtrale permettait aussi de braquer les projecteurs sur lui et enlever de la pression sur les épaules de ses protégés.
«Aussi surprenant qu’il puisse paraître, j’entretenais tout de même une bonne relation avec les officiels. Il nous arrivait de partager une bière dans un bar. J’ai même aidé l’un d’entre eux qui avait fait une crevaison après un match. Un sondage parmi les officiels avait révélé que l’entraîneur avec qui ils aimaient le moins travailler était Guy Chouinard. Il était pourtant un ange derrière le banc. Ses répliques étaient sans doute plus corsées que les miennes», a dit Rajotte.
Celui-ci a étonnamment été suspendu rarement considérant le style qu’il pratiquait. Il ne se souvient que d’un autre épisode, outre celui avec Therrien. Les autorités de la LHJMQ l’avaient puni pour avoir été à l’origine d’une mêlée typique de cette époque. Frédérick Girard, de l’Océanic de Rimouski, avait frappé violemment Samuel St-Pierre, des Tigres. Les Victoriavillois ont aussitôt fomenté un plan pour le venger lors du match suivant. Au cours des années 90, on se faisait justice soi-même, comme au Far West.
«J’avais dit à Dean Stock d’aller voir Vincent Lecavalier. S’il jetait les gants, j’avais dit à Dean d’y aller mollo. Ils ont finalement engagé le combat. À ma grande surprise, le plan n’a pas été suivi. Dean et Vincent y sont allés d’un combat très ouvert. Même si ça n’avait pas été prouvé, on m’avait tenu responsable pour cette situation. Encore aujourd’hui, certains pensent qu’on voulait donner une leçon à Vincent parce qu’il n’avait pas voulu se joindre à nous. Ce n’était pas pour ça. C’était relié au coup qu’avait reçu Samuel», a-t-il raconté. Durant ce match, un partisan avait même lancé son dentier en direction d’un joueur des Tigres. P.J. Stock avait saisi la prothèse et l’avait enfilée en narguant la foule.
Des histoires comme celles-ci, Alain Rajotte peut en raconter d’innombrables. Des incidents survenaient toutes les semaines. Les guerres de mots dans les médias étaient aussi monnaie courante. La LHJMQ tolérait les échanges publics colorés. Aujourd’hui, les amendes abondent dans pareilles circonstances.
Alain Rajotte a quitté les Tigres à la fin de son contrat en 2000. Plusieurs partisans souhaitaient son retour, mais les deux parties ont choisi de se séparer. «De fortes rumeurs envoyaient Pierre Roux à Québec. Un groupe de partisans souhaitaient que je reste dans les doubles fonctions. Ça a été envisagé. J’ai plutôt opté pour tenter ma chance chez les pros pour mon bien et celui des Tigres. J’ai bien vécu avec cette décision. Ça a été beaucoup plus difficile pour ma famille. J’ai essuyé bien des larmes», a-t-il partagé. C’est Mario Durocher qui a pris les rênes des Tigres par la suite. Deux saisons plus tard, l’organisation raflait son unique coupe du Président.