Olga, la légendaire pionnière
Olga est née durant la Grande Noirceur, à Montréal, en 1947. De ses parents ukrainiens, elle a hérité de son nom, Hrycak, d’une petite stature – elle ne fait pas plus de 5 pieds – et des vertus du travail acharné.
Durant sa jeunesse, un enseignant en éducation physique, métier pour lequel elle se prédestine, la contamine de sa passion pour le basketball. Olga, en dépit de sa taille, parvient rapidement à s’imposer sur le parquet avec le ballon rond. Sa force de caractère intimide, sa détermination impressionne, si bien qu’elle se fraye un chemin jusqu’au niveau universitaire, où elle défend fièrement les couleurs de la formation de l’Université de Montréal. Personne ne se doute à l’époque qu’est sur le point de naître une légende vivante.
Au cœur de la Révolution tranquille, le Québec est dirigé par Jean Lesage. Les fonctions les plus importantes sont pourvues généralement par des hommes. Le basketball est aussi un milieu phallocrate. Pourtant loin de vouloir faire du militantisme féministe, Olga y brisera néanmoins toutes les conventions, contre vents et marées, au cours des quatre décennies suivantes.
Dès sa sortie des bancs d’école en 1967, elle amorce sa carrière d’entraîneure sur les lignes de côté du Holy Names High School et devient coach Hrycak. Ses succès la hissent rapidement au sein des rangs collégiaux. Elle guidera la destinée des collèges Champlain, Saint-Lambert et Dawson de 1979 à 2003. Avec les Blues du Collège Dawson, ses neuf titres provinciaux – un record dans le monde du sport collégial – lui permettront de devenir l’une des figures les plus connues du milieu.
Elle est devenue, en 1985, la première femme à occuper un poste d’adjointe au sein de l’équipe nationale, accompagnant l’équipe masculine aux Jeux olympiques de Séoul, notamment. En 2003, son parcours de pionnière dans le monde du sport amateur canadien se poursuit, devenant la première femme à diriger un programme de basketball masculin, celui des Citadins de l’Université du Québec à Montréal. Elle n’aura mis que trois ans pour savourer un premier championnat québécois. Les Citadins ont été menés sous sa férule jusqu’en 2015, lorsqu’elle a retraité du monde de l’éducation.
Par l’ardeur de son travail et ses innombrables succès, elle a su gagner le respect de ses pairs québécois. Ça a été loin d’être le cas lors de ses nombreuses sorties en dehors du pays. Olga a piqué au vif l’orgueil de plusieurs de ses homologues de la gent masculine. Elle n’a cependant jamais craint d’être marginalisée, prenant même presque goût à son rôle de mouton noir au sein cette phallocratie. «Quand j’allais aux États-Unis, les hommes ne voulaient pas me serrer la main! Un arbitre a déjà refusé de m’adresser la parole durant un match sur la scène internationale parce que j’étais une femme entraîneure», se rappelle-t-elle.
Cela pourrait surprendre, mais elle a toujours préféré diriger des formations masculines. «Les gars peuvent être très explosifs, mais il y a moins d’émotions à gérer que dans une équipe féminine. Ça draine beaucoup moins d’énergie», lance-t-elle.
Et il ne faut pas être hypersensible lorsqu’on est commandé par coach Hrycak. Elle a été plus ferme et plus sévère avec ses joueurs que la plupart des hommes. Personnage coloré et authentique, doté d’un humour pince-sans-rire, elle a toujours eu des exigences sans pareil à l’égard de ses protégés, détestant la défaite comme nulle autre. Son intensité sur les lignes de côté valait bien souvent à lui seul le billet d’entrée.
En dépit de son parcours, Olga Hrycak a toujours refusé d’être identifiée comme une pionnière. Elle ne s’est jamais non plus considérée comme une militante féministe. «Je ne suis pas féministe. Je suis un coach qui a travaillé très fort. J’ai déployé beaucoup d’énergie pour transmettre ma passion aux jeunes. C’est aussi simple que cela», résume-t-elle. Par ses actions, on ne peut cependant que se rendre à l’évidence qu’elle a fait avancer la cause des femmes au Québec dans son domaine, remportant d’ailleurs plusieurs prix provinciaux et nationaux à cet égard au fil des ans.
Après plus de 48 ans à diriger des équipes, elle a tiré sa révérence en 2015, des maux de dos et des ennuis avec l’un de ses genoux l’ayant contrainte à prendre cette déchirante décision. Le coaching lui manque quelque peu, reconnaît-elle, puisque ça lui a toujours coulé dans les veines. «Mais je ne m’ennuie pas des longs voyages et du McDo! J’ai perdu beaucoup de poids depuis que j’ai pris ma retraite», rigole-t-elle. On peut souvent la voir dans les gradins du Centre sportif de l’UQAM, où elle assiste à tous les matchs de ses anciens poulains.
Après près d’un demi-siècle à vivre au rythme de l’éreintant calendrier du basketball, Olga Hrycak s’accorde aujourd’hui une pause bien méritée. Elle n’accepte désormais que quelques engagements durant l’année, dont la présidence d’honneur de la Classique Le lait au chocolat de Victoriaville, qui se tiendra en janvier. Ce sera la deuxième fois qu’elle occupe cette fonction honorifique.
«J’ai accepté parce que j’ai vécu quelque chose d’incroyable la première fois que j’ai été présidente d’honneur. J’ai eu la chance de parler aux jeunes et de voir plusieurs équipes. J’ai hâte de revivre ça», raconte-t-elle.
Elle livre en même temps son ultime bataille dans le monde du basketball, menant un projet pilote afin d’augmenter le nombre de femmes à la barre des équipes québécoises. «Tout le monde me répète qu’il n’y a pas assez de femmes dans le coaching, et ce, à tous les niveaux. Je me suis donc demandé de quelle façon je pouvais aider. De là est venu ce projet pilote. Je n’ai rien contre les hommes, mais ils sont partout dans le monde du basketball! Ce serait bien d’avoir plus de femmes. C’est une culture à changer. Elles se comprennent souvent mieux entre elles. À l’UQAM, on a une psychologue qui vient de la Bulgarie comme entraîneure (Albena Branzova) du programme féminin. Elle apporte une touche unique à son équipe. C’est beau à voir», affirme-t-elle.
Des progrès ont été faits au fil des ans à ce chapitre, selon elle. Il reste néanmoins fort à faire. «Quand j’ai commencé, le sport féminin n’existait presque pas. La point guard mesurait à peu près 4’11 » quand je jouais à l’Université de Montréal. Depuis 25 ans, les femmes ont pris une place de plus en plus importante dans le milieu. On n’a qu’à regarder les Olympiques pour comprendre. Des modèles, il y en a maintenant de plus en plus. Il faut qu’elles partagent leur expérience aux jeunes pour démontrer que c’est possible de le faire, même avec le travail et la famille. Ça a peut-être été plus facile pour moi puisque ma famille, ce sont mes joueurs… Ce sera peut-être long, mais on y arrivera», a-t-elle conclu.