Hommes forts : beaucoup d’appelés, mais peu d’élus
FORCE. Il fallait être là pour le voir. Le quintuple champion canadien, Jean-François Caron, était dans une classe à part lors du Festival hommes forts Warwick, dominant outrageusement ses rivaux.
Pendant les quatre épreuves du dimanche, il ne s’est pas adressé à la foule tandis que ses adversaires, eux, répondaient aux questions des animateurs de l’évènement. Entre les épreuves, les hommes forts répondaient aux questions des journalistes. Pas Jean-François Caron. Il préférait garder sa concentration.
Une fois la compétition terminée, ses rivaux ont pris quelques bières. Caron, lui, buvait son shake de protéines. Chaque seconde de sa vie est minutieusement calculée pour devenir l’homme le plus fort du monde. Lorsqu’on lui demande combien mesure ses biceps, il rétorque qu’il n’a jamais mesuré et que c’est une perte de temps.
«Je ne suis pas culturiste», dit-il sans détour après avoir finalement daigné afficher son premier sourire de la journée, une fois la victoire en poche. Pendant que la foule faisait la file pour prendre une photo avec le vainqueur, il y avait Simon Boudreau et Vincent Lapointe. Pour eux, la file était beaucoup moins longue. Ils ont les mêmes aspirations que Caron, mais ils n’ont pas encore atteint le niveau du quintuple champion.
Ils espèrent y arriver un jour, mais la route est encore longue.
Boudreau est entraîneur, mais il travaille également comme opérateur de machineries lourdes dans une usine. Lapointe passe la moitié de son temps à travailler dans un gym et l’autre moitié comme mécanicien.
«On doit être prêt à faire des sacrifices financiers et accepter la douleur puisque les entraînements ne sont pas plaisants», a souligné Lapointe, qui a pris le cinquième rang au Championnat canadien 2015.
Chaque semaine, le montant qu’il voit au bas de sa facture d’épicerie s’élève à 200 $. Il mange 6000 calories par jour alors que monsieur et madame Tout-le-monde en mange 2000.
Quant aux nombreuses douleurs, Boudreau énumère quelques-unes des blessures qu’il a subies depuis le début de sa jeune carrière. «J’ai eu deux déchirures du ligament croisé antérieur et j’ai eu plusieurs entorses lombaires. Ça l’arrive régulièrement [dans notre sport]», a-t-il illustré. Il n’a que 26 ans.
D’ailleurs, celui qui a terminé deuxième au Championnat canadien en 2015, Maxime Boudreault, n’était pas présent à Warwick. Il s’est blessé quelques jours auparavant.
Son remplaçant était Jacki Ouellet. «J’ai des dépôts calcaires à l’épaule droite». Or, ce dernier reconnaît qu’il n’est pas aussi assidu à son sport que Caron, Boudreau, Lapointe et compagnie.
«Je mange du fast food et si je dois choisir entre aller à la pêche ou aller m’entraîner, je vais aller à la pêche», avoue-t-il.
Important de savoir s’arrêter
La ligne est infiniment mince entre dépasser ses limites et se blesser gravement. À plusieurs reprises lors du festival, les athlètes ont préféré abdiquer en essayant de soulever une charge plutôt que de risquer une blessure.
«Si je faisais de la marche, je n’aurais pas trop de risques de blessures, a illustré Lapointe. Il faut savoir quand s’arrêter et penser à la prochaine compétition.» En revanche, Boudreau reconnaît qu’il s’est tenu loin de l’infirmerie depuis deux ans, depuis qu’il a appris à mieux gérer ses compétitions.
Mais pourquoi? Parce que…
Difficile de savoir pourquoi ces hommes poussent-ils autant leurs limites pour espérer être le prochain Jean-François Caron. «On vit juste une fois et je ne vis pas avec le regret», a soulevé philosophiquement Boudreau.
«Pourquoi je fais tout ça? Je ne sais pas. C’est quelque chose qui est en moi. Il n’y a pas un homme fort qui va dire pourquoi il fait ça, mais il va dire pourquoi il ne le ferait pas», a conclu Lapointe.
Par Alex Drouin