Lettre ouverte à François Legault

Monsieur Legault,

Vous avez déclaré dimanche (4 septembre), en entrevue dans le cadre de l’émission spéciale « Cinq chefs, une élection », avoir abandonné votre promesse de réforme électorale parce que selon vous : « à part quelques intellectuels, le changement de mode de scrutin ça n’intéresse pas les Québécois ». 

Passons par-dessus le fait que cette déclaration est particulièrement démagogique. Passons aussi par-dessus le mépris que vous semblez afficher pour « les intellectuels » en général. Enfin, passons par-dessus le fait que l’on devrait se méfier d’un premier ministre qui discrédite publiquement les intellectuels, les écologistes et autres experts scientifiques pour justifier ses mauvaises décisions… 

Cependant, ce par-dessus quoi nous ne passerons pas, c’est que vous affirmiez que les Québécoises et Québécois ne s’intéressent pas à l’évolution de notre démocratie. De tels propos sont méprisants pour toutes les personnes et les organismes qui se sont unis pour réclamer un mode de scrutin différent depuis des années. De plus, sondage après sondage, nous savons qu’une proportion d’environ 70% de la population est en faveur d’une réforme électorale. Aussi, plus de 80% souhaitent un changement de culture politique qui favoriserait davantage de collaboration à l’Assemblée nationale. Qui plus est, les taux de participation aux dernières élections témoignent d’un désengagement envers le système électoral actuel… et nous verrons bientôt pour celle en cours, le 3 octobre. 

La population québécoise, les jeunes notamment, réclame l’instauration d’une démocratie plus juste, plus mature et plus saine. Ce n’est pas anodin que depuis quatre ans, vous gouverniez de manière « majoritaire » avec seulement 37% d’appui populaire! Nous sommes nombreux à craindre davantage l’élection de gouvernements majoritaires tout-puissants à répétition que l’élection de gouvernements minoritaires amenés à collaborer. Nous sommes des milliers à être tannés que notre vote ne compte pas. Vous n’êtes pas coupable de cela, le système électoral l’est. Celui-là même que vous aviez promis de changer…

Vous saviez, à l’époque, que notre système électoral était brisé, injuste et qu’il nourrit toujours le cynisme ambiant. Vous espériez alors « qu’on travaille davantage ensemble, pour qu’il n’y ait pas un gouvernement élu par une minorité qui prenne des décisions pour une majorité ». Ce sont vos propres mots. 

Qu’est-ce qui a changé depuis? Le pouvoir. L’insidieux pouvoir. Comme les autres avant vous, vous vous imaginez désormais seul à détenir une vision suffisamment éclairée pour gouverner le Québec et qu’il serait conséquemment dangereux de le partager. L’appui populaire pour une réforme électorale n’a pas changé entre 2018 et 2022. Vous avez changé. 

En démocratie, le pouvoir appartient au peuple, à l’ensemble du peuple. C’est une dysfonction de notre démocratie que de le concentrer entre les mains d’une seule personne, qui de surcroit n’obtient l’appui que d’une minorité de la population. 

Il y a quatre ans, vous souhaitiez lutter contre le cynisme, vous proposiez que le vote de chaque électeur compte, que la composition de l’Assemblée nationale soit le reflet des convictions telles qu’elles s’expriment réellement au sein de la société québécoise. Il y a quatre ans, vous disiez incarner le changement. 

Quatre ans plus tard, le pouvoir est exactement le même qu’il était : tout puissant, populiste et arrogant. 

Quatre ans plus tard, à part dans vos convictions, où est le changement, M. Legault? 

Par Jean-Pierre Charbonneau, Françoise David et Sylvie Cantin, respectivement président et vice-Présidentes du Mouvement Démocratie Nouvelle