Des petites médailles pour des géants
Dernièrement, plusieurs aînés ont reçu une médaille du lieutenant-gouverneur général, par la poste, pour reconnaître leur engagement communautaire et social. «C’est un honneur. J’étais bien contente», confie Olive Hinse, ma grand-mère, qui a appris mériter cette distinction au moment où le «postillon» a déposé le précieux colis devant sa porte.
La cérémonie n’aura pas lieu. Qu’importe, ma grand-mère n’est pas du genre à rechercher l’attention. Depuis 83 ans, toutes ses actions n’ont été motivées que par l’altruisme et le goût du bonheur. Quoiqu’elle ne dit jamais non à un rassemblement. Sauf récemment.
Voyant du bon dans chaque situation, elle me dit en riant que ses amies les «déjeuneuses» lui ont fait remarquer qu’elle n’aura pas besoin de s’acheter de robe. Elle ajoute avoir assisté à la cérémonie l’an dernier, pour accompagner une amie. Elle a pris des photos.
Malgré son optimisme, j’ai pensé qu’en écrivant quelques mots, on soulignerait autrement cette prestigieuse récompense.
Parmi les grands
Olive mesure 4 pieds et 11 pouces. Enfant, je rêvais d’être aussi grande qu’elle. Je me souviens de la fierté que j’ai ressentie le jour où je l’ai dépassée de taille. J’étais en sixième année. Mais pour le reste de la comparaison, il n’y a toujours pas de système de mesure adapté. De toute façon, elle se classe parmi les géants.
Pour cette dame qui aime vivre en société, de manière discrète, le quotidien a bien changé avec la COVID-19. Mais elle se réjouit de petites choses dernièrement, comme du fait d’habiter dans un appartement et de pouvoir aller dehors. Elle n’est pas une grande marcheuse, mais de pouvoir ouvrir la porte-fenêtre, prendre l’air ou sortir avec son mari en voiture, ça fait du bien. Car il n’y a pas si longtemps, mes grands-parents vivaient en résidence à Victoriaville. Après deux ans dans leur complexe, mon grand-père, René Cantin, agriculteur pendant plus de huit décennies, se jugeait trop jeune pour ce mode de vie. Il désirait avoir au moins un bout de terrain pour s’occuper. Après tout, il n’a que 91 ans.
Olive se considère chanceuse.
Pour ma grand-mère, l’important a sans cesse été de poursuivre ses activités, en particulier avec la chorale. Peu importe l’adresse.
J’ai chanté souvent avec elle. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare qu’elle distribue des feuilles de paroles à tous les membres de la famille, lors d’une fête. J’en ai vu des beaux-frères mal à l’aise de devenir subitement des enfants de chœur. Ça m’a toujours fait rire.
Olive a raison ; l’essence de l’existence demeure sans doute d’agir de concert.
Fillette, elle s’imaginait exercer la profession d’enseignante. Puis elle a perdu sa mère. Issue d’une famille de 14 enfants, ma grand-mère avait 14 ans quand elle a mis un trait sur ses ambitions pour se consacrer au lavage, aux repas et au ménage. En se mariant avec un agriculteur, à l’âge de 21 ans, elle marchait tout droit, et avec conviction, dans cette voie qui lui semblait naturelle: épauler les autres. Ç’a été ça, son métier. Et elle ne s’en est jamais retraitée.
Après avoir eu quatre enfants, entre 1959 et 1968, les années 1970 l’ont ramenée vers quelques-unes de ses passions: le Cercle des Fermières de Tingwick et Les Filles d’Isabelle, entre autres. Elle y évolue depuis et offre de son temps comme bénévole pour différentes causes. Pour elle, prendre part aux activités de sa région constitue une réalisation personnelle. Comme bien des femmes de sa génération, le bénévolat, la musique et l’artisanat sont non seulement une manière de s’épanouir, mais s’avèrent depuis longtemps essentiels à la survie de la famille et de la communauté.
Un vrai modèle
Grand-maman, je n’exposerai pas les actions qui t’ont valu cette médaille. La liste apparaitrait bien longue et incomplète. J’estime que la cérémonie t’aurait plu, parce que tu aurais pu partager avec tes amis ce moment spécial. Puis j’imagine que les vraies médailles, tu les reçois dans chaque sourire que tu fais naître autour de toi, depuis tant d’années.
On entend souvent dire de nos aînés qu’ils ont construit le Québec. Moi, je pense que si le Québec avait été un peu plus inspiré par des femmes comme toi, et non par des hommes d’affaires, on chanterait beaucoup plus. On consommerait moins. On serait plus habile de nos mains. On aiderait notre prochain. On passerait plus de temps ensemble, grand-maman.
Ta médaille, tu la mérites depuis longtemps. Pour toi, c’est un gros cadeau. Présentement, je me sens presque aussi fière, mais jamais autant, que le jour où j’ai franchi les 4 pieds et 11 pouces. Ce jour-là, j’ai su que je pourrais faire de grandes choses, comme toi.
Je tiens à te remercier pour tes chants. Ils m’ont fait grandir. Je te dis bravo pour tous les gestes bienveillants que tu poses autour de toi.
Olive, je rêve encore d’être aussi grande que toi.
De ta petite-fille
Andrée-Anne Fréchette