Projet de loi sur le contrôle des armes: «ne transférez pas le fardeau aux femmes»

OTTAWA — Plusieurs groupes de femmes exhortent les libéraux fédéraux à abandonner l’idée de permettre à une personne qui se sentirait menacée de demander au tribunal une ordonnance pour retirer les armes à feu des mains d’un harceleur ou d’un agresseur potentiel.

Ces organismes estiment que cette mesure dite du «drapeau rouge», qui était inscrite dans le projet de loi mort au feuilleton l’année dernière, conduirait à plus de tragédies, en transférant aux victimes potentielles le fardeau de l’application de la loi sur le contrôle des armes à feu.

Ces groupes ont écrit au ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, et à sa collègue ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Marci Ien, alors que le gouvernement libéral élabore actuellement un nouveau projet de loi sur le contrôle des armes à feu.

La lettre, datée du 16 mai, est signée par Tiffany Butler, directrice de l’Association nationale Femmes et Droit, au nom de directrices d’une dizaine d’organismes, dont le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes et la Fondation canadienne des femmes.

«Les armes à feu augmentent la probabilité que la violence conjugale se termine par un décès, lit-on dans la lettre. Les armes à feu entraînent une hausse du nombre de victimes: les enfants sont souvent aussi tués ou blessés et, dans 50 % des cas de violence conjugale impliquant des armes à feu, l’auteur ou l’autrice se suicide.»

Les groupes de femmes s’opposent à une disposition du projet de loi fédéral de l’année dernière qui proposait de créer un nouveau régime pour les ordonnances d’interdiction d’urgence. En vertu de ce régime «drapeau rouge», n’importe qui pourrait demander à un juge d’une cour provinciale d’interdire à une autre personne de posséder une arme à feu pendant 30 jours pour des raisons de sécurité.

Les organismes soutiennent plutôt les efforts visant à utiliser les moyens disponibles, ainsi que des pouvoirs supplémentaires et l’éducation de la communauté, afin d’identifier les risques et de retirer rapidement les armes à feu des mains de personnes qui constituent une menace pour elles-mêmes ou pour autrui.

«Il n’y a aucun soutien en faveur du déchargement ou de l’érosion de la responsabilité des forces de l’ordre et d’autres représentants et représentantes du gouvernement dans la mise en œuvre des lois sur les armes à feu», indiquent les organismes.

«Ils et elles sont, et doivent, rester responsables et redevables de veiller à ce que les permis d’armes à feu soient refusés et révoqués lorsqu’il existe des risques potentiels pour les femmes. Il ne faut pas s’attendre à ce que des citoyens et citoyennes ou d’autres organisations, et encore moins des victimes potentielles, se mettent en danger en allant au tribunal pour demander une action qui devrait être immédiate et relever de la responsabilité directe de la police.»

Il est largement reconnu que les femmes courent le plus grand danger pendant et après la séparation, rappellent les groupes de femmes. «Le fait de transférer le fardeau de l’application de la loi aux femmes et aux tiers, comme les dispositions du projet de loi C-21 relatives aux « drapeaux rouges » tentent de le faire, est une voie garantie vers une hausse du nombre de décès.»

Des schémas connus de violence

Les organismes citent un certain nombre de fusillades au cours desquelles les gens étaient au courant de schémas de menaces et de violences contre les femmes. «Dans certains cas, la police a été avertie, mais aucune mesure n’a été prise.»

La lettre exhorte le gouvernement à se concentrer sur la formation, le dépistage plus rigoureux, une meilleure application de la loi et la responsabilisation de la police et des autres fonctionnaires «chargés de garantir la sécurité des femmes et des autres victimes potentielles de la violence armée». 

Les groupes demandent au gouvernement de promouvoir l’utilisation des mécanismes de «drapeau rouge» existants déjà dans le système, comme le système de «Personnes d’intérêt relatif aux armes à feu», et de s’assurer qu’ils sont utilisés comme prévu. 

En particulier, ils estiment que les autorités devraient:

— veiller à ce qu’un large éventail d’infractions et de comportements déclenche ces signaux d’alerte;

— encourager les membres de la communauté, les professionnels de la santé et autres personnes à signaler des drapeaux rouges;

— veiller à ce que des mesures immédiates et efficaces soient prises en réponse à ces signalements;

— et effectuer les nouveaux investissements substantiels nécessaires à la formation, à un dépistage plus rigoureux, à une meilleure application de la loi et à la responsabilisation de la police et des autres fonctionnaires chargés de garantir la sécurité des femmes et des autres victimes potentielles de la violence armée. 

Les cabinets des ministres Mendicino et Ien n’ont fait aucun commentaire immédiat mercredi.

Dans une récente lettre de mandat adressée à la commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, Brenda Lucki, M. Mendicino soulignait que les victimes de violence conjugale méritaient d’être protégées.

Il a demandé à Mme Lucki de travailler avec les contrôleurs des armes à feu à travers le Canada afin qu’ils répondent sans délai aux appels des Canadiens qui ont des préoccupations concernant la sécurité de toute personne ayant accès à des armes à feu, et de travailler avec les autorités policières compétentes pour retirer les armes à feu rapidement au besoin. Mme Lucki a également été chargée de sensibiliser et de former le personnel sur l’importance d’enregistrer les incidents impliquant des comportements dangereux et des armes à feu. 

La prochaine législation sur le contrôle des armes à feu devrait régler plusieurs problèmes distincts. Les libéraux ont promis un rachat obligatoire des armes à feu interdites qu’ils considèrent comme des «armes d’assaut», l’interdiction des chargeurs de grande capacité et de nouveaux efforts pour lutter contre la contrebande d’armes à feu. Les libéraux se sont également engagés à travailler avec toute province ou tout territoire qui souhaiterait interdire les armes de poing.

Les groupes de femmes et de nombreuses autres organisations qui font pression pour des lois plus strictes sur les armes à feu préconisent une interdiction véritablement nationale des armes de poing.

La lettre aux ministres Mendicino et Ien indique qu’Ottawa ne devrait pas confier la réglementation des armes à feu, y compris les armes de poing, aux provinces ou aux municipalités. «Afin d’assurer un contrôle efficace des armes à feu au Canada, votre gouvernement doit exercer de façon proactive la pleine mesure de ses pouvoirs dans ce domaine», lit-on. 

La lettre a aussi été endossée par les directrices de huit autres organismes, dont le Conseil national des femmes du Canada et le Conseil canadien des femmes musulmanes.