Présenter un doigt d’honneur constitue un droit fondamental, estime un juge québécois

MONTRÉAL — Un juge de la Cour du Québec affirme que les Canadiens disposent du droit inhérent et fondamental, garanti par la Charte, de présenter un doigt d’honneur à un voisin malcommode.

Le juge Dennis Galiatsatos a fait ces commentaires en acquittant récemment un homme de l’ouest de l’île de Montréal accusé de harcèlement criminel et d’avoir proféré des menaces. 

Le juge trouve même effarant le seul fait que cet homme ait été arrêté et accusé dans cette affaire. «Cette injustice prend fin aujourd’hui», écrit le juge Galiatsatos dans une décision rendue le 24 février.

«Pour être très clair, ce n’est pas un crime de faire un doigt d’honneur à quelqu’un. C’est un droit fondamental inscrit dans la Charte, qui appartient à tous les Canadiens. 

«Ce n’est peut-être pas civil, ce n’est peut-être pas poli, ce n’est peut-être pas courtois. Mais ça n’engage pas de responsabilité criminelle. Offenser quelqu’un n’est pas un crime. Cela fait partie intégrante de la liberté d’expression», poursuit le juge.

Neall Epstein, un enseignant de 45 ans, avait été arrêté par la police en mai 2021 alors qu’il rentrait chez lui, à Beaconsfield, après une promenade à pied. Plus tôt cette journée-là, il avait rencontré un de ses voisins, Michael Naccache, qui vivait dans la même rue et avec qui il avait déjà eu des conflits.

M. Naccache, âgé de 34 ans, a lancé des injures à son voisin, alors qu’il tenait un outil électrique «de manière menaçante», a conclu le juge. M. Epstein lui a répondu en présentant ses deux majeurs bien dressés et il a poursuivi son chemin. 

Qui menace qui?

M. Naccache a allégué au procès que M. Epstein avait fait le geste de trancher la gorge et il a soutenu qu’il craignait que l’accusé revienne et tente de le tuer – des affirmations que le juge n’a pas crues.

«Sur quelle base craignait-il que M. Epstein soit un meurtrier potentiel ? Le fait qu’il se soit promené tranquillement avec ses enfants ? Le fait qu’il a socialisé avec les autres jeunes parents dans la rue ? Si c’est la norme, nous devrions tous craindre que nos voisins soient des tueurs en devenir», a écrit le juge Galiatsatos.

Cet incident a été de fait l’aboutissement d’une série d’interactions entre les deux hommes et des membres de leurs familles. M. Naccache a affirmé que ces interactions équivalaient à des mois de harcèlement, mais le juge a conclu qu’il s’agissait d’un comportement inoffensif.

«Pour les plaignants, la présence de jeunes familles à l’extérieur constitue une source de mépris et de vif ressentiment, qui s’est finalement transformée en une plainte au criminel contre leur voisin», écrit le juge, décrivant M. Epstein comme «le père attentionné de deux jeunes filles, qui n’a commis aucun crime, quel qu’il soit».

Il estime «déplorable» le fait que les plaignants «aient utilisé le système judiciaire comme une arme dans le but de se venger d’un homme innocent».

M. Naccache a soutenu qu’il pensait que M. Epstein le filmait régulièrement et à son insu, lui et sa famille. En réalité, a conclu le juge, c’était M. Naccache qui avait filmé son voisin, et d’autres, grâce à des caméras installées à l’extérieur de la maison dans laquelle il vivait avec ses parents et son frère. Il y avait aussi des caméras sur sa moto et dans les véhicules de ses parents.

Conduite dangereuse

Dans une vidéo soumise en preuve, le tribunal a vu la mère de M. Naccache, Martine Naccache, conduisant dangereusement à proximité d’enfants du quartier, a écrit le juge. Environ une heure plus tard, le père de M. Naccache, Frank Naccache, a «délibérément et avec cruauté» fait de même, selon la décision du juge, ce qui a donné lieu à une confrontation avec plusieurs papas du quartier, dont M. Epstein.

L’accusé a déclaré qu’au cours de cet épisode, Frank Naccache avait menacé de heurter intentionnellement les enfants avec sa voiture. Michael Naccache a affirmé devant le tribunal que M. Epstein avait agressé ses parents lors de cette confrontation, mais la preuve vidéo montrait plutôt que le frère de M. Naccache, Ari, a poussé M. Epstein, qui s’est ensuite éloigné dans ce que le juge a appelé un «remarquable exercice de retenue».

Le juge Galiatsatos écrit d’ailleurs que Martine et Frank Naccache devraient se considérer chanceux de ne pas avoir été accusés de conduite dangereuse. Quant aux deux frères Naccache, ils avaient eu de la chance de ne pas avoir été accusés d’agression ou de menaces, a écrit le juge.

Dans sa décision, rédigée en anglais, le juge Galiatsatos écrit qu’il souhaitait pouvoir littéralement, et pas seulement au sens figuré, rejeter la plainte — «throw the case out», comme les juristes le disent en anglais.

«Dans les circonstances spécifiques de cette affaire, la Cour est encline à prendre le dossier et à le jeter par la fenêtre, ce qui est le seul moyen d’exprimer de manière adéquate ma perplexité face au fait que M. Epstein a été soumis à une arrestation et à une poursuite complète», écrit le juge.

«Hélas, les salles d’audience du palais de justice de Montréal n’ont pas de fenêtres. Un simple verdict d’acquittement devra suffire.»

Une porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a déclaré que les procureurs doivent rester convaincus tout au long du processus judiciaire qu’il existe une perspective raisonnable de condamnation.

Dans cette affaire, a écrit Me Audrey Roy-Cloutier dans un courriel mercredi, la procureure a conclu que la preuve n’atteignait pas le seuil d’une condamnation pendant que M. Epstein témoignait. Elle a refusé de contre-interroger M. Epstein et a plutôt demandé au juge de l’acquitter.

Bien que le DPCP ne soit pas d’accord avec certaines des déclarations faites par le juge dans sa décision, celle-ci ne sera pas portée en appel, a indiqué Me Roy-Cloutier. 

Le Service de police de la Ville de Montréal a indiqué mercredi qu’il étudiait le jugement et qu’il ne ferait pas de commentaires. Il n’a pas été possible de parler à M. Epstein ou aux Naccache.