Ottawa repousse la réforme de l’assurance-emploi face au ralentissement économique

OTTAWA — Le gouvernement libéral a écarté la réforme de l’assurance-emploi du budget fédéral cette semaine, craignant qu’une refonte du programme dans un contexte de ralentissement économique ne fasse augmenter les cotisations des travailleurs et des employeurs.

Ce sont les explications d’une porte-parole de la ministre de l’Emploi, Carla Qualtrough, qui a déclaré que le gouvernement fédéral «reste déterminé à moderniser le système d’assurance-emploi».

«Cependant, le contexte économique actuel et à court terme met en garde contre les mesures qui pourraient exercer une pression sur les cotisations à l’assurance-emploi. Nous devions faire attention à toute décision qui pourrait rendre plus difficile pour les travailleurs et les employeurs de joindre les deux bouts», a mentionné le porte-parole dans un courriel.

Après les dernières élections fédérales, le premier ministre Justin Trudeau a remis une lettre de mandat qui chargeait Mme Qualtrough de présenter et mettre en œuvre un «plan de modernisation du programme d’assurance-emploi adapté au 21e siècle » d’ici l’été 2022.

À la fin de l’été, la ministre a promis que la réforme arriverait bientôt. «D’ici la fin de l’année, vous saurez quelle est la vision de l’assurance-emploi», a-t-elle déclaré en septembre.

Plusieurs mois après le début de 2023, les espoirs étaient minces que le budget fédéral fasse enfin allusion aux plans du gouvernement. En effet, il s’est principalement concentré autour de l’économie propre et les soins de santé, mettant de côté d’autres points à l’ordre du jour.

Le gouvernement fédéral, qui s’attend maintenant à une légère récession cette année, semble éviter de réformer l’assurance-emploi pour ne pas faire grimper le coût du programme. Une récession s’accompagnerait probablement de pertes d’emplois. 

Un élargissement de l’admissibilité dès maintenant pourrait permettre à encore plus de personnes de profiter de l’assurance-emploi.

Un «statu quo lamentable»

Avec ce dernier retard, les syndicats et les experts s’impatientent.

Le Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC) a réagi au budget en demandant au Nouveau Parti démocratique (NPD) de retirer son appui au gouvernement libéral par le biais de l’entente de «soutien et de confiance» entre les deux partis.

«La déception est totale, car le gouvernement trahit son engagement. Le statu quo décidé par ce gouvernement est lamentable», a réagi le porte-parole du CNC, Pierre Céré, dans un communiqué. 

«Face à cette situation, nous demandons au NPD de retirer sa confiance au gouvernement et de mettre ses sièges en jeu», a poursuivi M. Céré. 

Il existe une longue liste de plaintes concernant la structure actuelle du programme, ses conditions d’admissibilité, son financement et sa technologie administrative. La principale préoccupation des travailleurs reste toutefois que trop peu peuvent accéder aux prestations.

En 2021, les libéraux avaient fait campagne sur la promesse de moderniser l’assurance-emploi et s’étaient engagés à étendre le programme pour couvrir les travailleurs indépendants et combler les lacunes mises en évidence par la pandémie de COVID-19.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a avancé jeudi que des révisions plus importantes étaient toujours à venir.

«Ma collègue Carla Qualtrough travaille avec ardeur sur des améliorations plus vastes de l’assurance-emploi et c’est un travail important qui doit être fait de manière réfléchie et prudente», a-t-elle déclaré aux journalistes à Surrey, en Colombie-Britannique.

Mme Freeland a cité deux changements à l’assurance-emploi annoncés dans le budget.

Une mesure propose de prolonger un changement temporaire à l’assurance-emploi introduit en 2018 qui augmente le nombre de semaines de couverture disponibles pour les travailleurs saisonniers. L’autre vise à renforcer les interdictions de classification erronée des employés pour les travailleurs à la demande sous réglementation fédérale.

Des mesures provisoires réclamées

Un membre de la Commission canadienne de l’assurance-emploi, qui comprend à la fois des représentants des syndicats et des entreprises, et qui aide à superviser et à réviser le système d’assurance-emploi, s’est ajouté aux critiques.

Son commissaire représentant les travailleurs et travailleuses, Pierre Laliberté, s’est dit «très déçu» de voir la réforme de l’assurance-emploi exclue du budget.

Au minimum, le gouvernement fédéral aurait pu inclure des mesures provisoires pour combler les principales lacunes et élargir l’accès, a-t-il fait valoir. 

«Il est vraiment absolument bizarre que le gouvernement n’ait pas jugé bon d’au moins boucher quelques trous ici et là.»

Pendant la pandémie, le gouvernement avait élargi l’accès au système d’assurance-emploi par le biais de mesures temporaires. Ceux-ci ont expiré en septembre, malgré la forte opposition des groupes syndicaux et du NPD.

En vertu des mesures temporaires, les travailleurs étaient admissibles à l’assurance-emploi sur la base d’une exigence nationale d’avoir travaillé 420 heures d’emploi assurable, alors que les travailleurs auraient normalement besoin de 420 à 700 heures selon le taux de chômage régional. Et les sommes versées lors de la cessation d’emploi d’un travailleur, telles que les indemnités de départ, n’étaient pas déduites des prestations.

Le manque de clarté quant à l’avenir de la réforme de l’assurance-emploi survient alors que de nombreux économistes prévoient que l’économie canadienne entrera dans une légère récession cette année, qui devrait s’accompagner de pertes d’emplois.

La présidente du Congrès du travail du Canada, Bea Bruske, a déclaré que la mise en œuvre de la réforme de l’assurance-emploi aiderait l’économie à «résister à la récession » pour les travailleurs en garantissant que le filet de sécurité sociale peut soutenir ceux qui risquent d’être licenciés.

Une réforme «pas sexy»

M. Laliberté voit toutefois que la réforme de l’assurance-emploi ne semble pas être une priorité pour les libéraux ou les néo-démocrates. Les deux se sont davantage concentrés sur la prestation d’un régime fédéral de soins dentaires, expose-t-il, bien que les soins de santé relèvent de la compétence provinciale et que le programme d’assurance-emploi soit une responsabilité fédérale.

«Ce n’est pas sexy, a affirmé M. Laliberté à propos de la réforme de l’assurance-emploi. Annoncer quelque chose de nouveau, comme les soins dentaires, c’est glamour, non?»

Dans un communiqué, le porte-parole adjoint du NPD en matière de finances, Peter Julian, a déclaré que les néo-démocrates sont fiers de ce qu’ils ont accompli pour les Canadiens dans le budget, mais qu’ils ne sont «pas satisfaits».

«Il est honteux que les libéraux n’aient pas inclus la réforme de l’assurance-emploi dans le budget de 2023 alors que les économistes préviennent que nous nous dirigeons vers une récession», a-t-il soutenu.

«Les néo-démocrates continueront de faire pression sur les libéraux pour réformer l’assurance-emploi et s’assurer qu’aucun travailleur n’est laissé pour compte.»