La technologie semble nuire à la communication, dit une étude

MONTRÉAL — La communication entre deux individus n’est pas aussi efficace si elle se fait par technologie interposée, a constaté un chercheur montréalais, et elle pourrait même demander un plus grand effort de concentration au cerveau.

Cela pourrait expliquer la «fatigue Zoom», ce malaise que plusieurs ont ressenti pendant la pandémie après une journée entière passée en ligne à discuter avec des collègues.

«Nos conclusions illustrent clairement le prix que nous payons pour la technologie», écrivent les auteurs dans le journal médical NeuroImage.

Guillaume Dumas, un chercheur de l’Université de Montréal et du CHU Sainte-Justine, et ses collègues ont utilisé un électroencéphalogramme pour examiner les cerveaux de mères et de leur adolescent qui discutaient en personne, puis par technologie interposée. L’examen a démontré que le cerveau des participants ne réagissait pas du tout de la même manière.

Les chercheurs ont ainsi constaté que les cerveaux des participants se «synchronisaient» quand ils étaient en présence l’un de l’autre, ce qui ne se produisait pas lorsqu’ils discutaient par le biais d’un écran. Plus précisément, ils ont pu mesurer que neuf liens importants unissaient les deux cerveaux lors de la conversation en personne, contre un seul lors de la conversation virtuelle.

On croit que ces liens pourraient permettre aux interlocuteurs de communiquer leur état émotionnel ou des indices non verbaux à leur partenaire.

«C’est le vieil adage d’être sur la même longueur d’onde, a dit M. Dumas, qui a discuté de ses travaux en primeur avec La Presse Canadienne. Et dans cette étude, on montre que justement, on est moins sur la même longueur d’onde quand on est par vidéoconférence, que quand on est face à face. Du coup, on paye un peu le prix d’utiliser la technologie pour communiquer en ayant une communication peut-être de moindre qualité et moins authentique par rapport à ce à quoi notre cerveau est habitué, à ce pourquoi il a été fait.»

Nos cerveaux sont le fruit de dizaines de milliers d’années d’évolution, a-t-il rappelé. Par rapport à l’évolution de la technologie, l’évolution biologique de notre cerveau est relativement lente, et nous avons donc encore relativement le même cerveau que nos ancêtres Homo sapiens il y a dix ou vingt mille ans.

Conséquemment, poursuit-il, notre cerveau est configuré pour gérer les interactions et les communications avec les autres en temps réel, face à face.

Les chercheurs ont découvert que la région frontale du cerveau de la mère se liait à chacune des régions mesurées dans le cerveau de l’enfant. Le cortex frontal est associé aux fonctions sociales élevées, y compris la cognition sociale et la prise de décision dans un contexte social.

Une communication en personne, a dit M. Dumas, facilite la transmission et la détection «d’indices non verbaux, peut-être d’anticiper ce que l’autre va dire, de comprendre des sous-entendus ou des choses qui sont plus subtils sur le plan de la communication», ce qui est nettement plus difficile en présence d’une image en deux dimensions.

«On va être obligés de forcer un peu plus d’un point de vue attentionnel, a dit M. Dumas. C’est beaucoup plus compliqué de maintenir la communication, un peu comme si on parle au téléphone et qu’il y a beaucoup de bruit autour. On sent que ce n’est pas agréable, qu’il faut mettre beaucoup plus d’énergie, beaucoup plus d’efforts pour arriver à communiquer avec l’autre personne.»

Plusieurs facteurs ont été évoqués pour expliquer la «fatigue Zoom», notamment une rétroaction sociale retardée, des difficultés à maintenir l’attention, des interlocuteurs qui ne montrent pas leur visage, des problèmes de posture ou encore des réponses qui tardent à venir en raison de micros éteints.

Cette nouvelle étude ajoute une réduction de la synchronisation des cerveaux à cette liste.

«On finira peut-être par conclure qu’une réunion en personne de 15 minutes est plus efficace qu’une réunion en ligne d’une heure», a dit M. Dumas.

Interactions en personne

Cette étude, écrivent les chercheurs, porte à croire que le cerveau humain a besoin d’interactions en personne pour se développer correctement. Cela suscite dès lors des inquiétudes quant au développement de l’empathie et de la collaboration chez des jeunes qui sont de grands consommateurs de communication assistée par la technologie, surtout après deux années de pandémie pendant lesquelles une grande partie de leur vie s’est déplacée en ligne.

«Il y a plein d’expériences en neurosciences qui montrent qu’il y a ce qu’on appelle des périodes critiques, donc des périodes qui sont critiques pour certains apprentissages, a souligné M. Dumas. Et si on dépasse ces périodes-là (…) ça devient beaucoup plus compliqué de rattraper la chose que si on a appris la chose au bon moment du développement.»

Il cite en exemple l’acquisition des normes sociales, l’acceptation des autres et par les autres, la communication et les interactions avec les autres, qui se produisent pendant l’adolescence.

Les communications assistées par la technologie, poursuit-il, offrent des possibilités de choses qui étaient plus difficiles dans un mode d’interaction classique – comme la cyberintimidation.

«Les gens qui ne seraient pas passés à l’acte dans la réalité ont beaucoup moins de difficulté à avoir des comportements toxiques sur internet, a dit M. Dumas. D’après la littérature et nos états de connaissance, ça ferait totalement du sens que, justement, la désincarnation de l’autre facilite ces comportements toxiques.»

La communication assistée par la technologie peut offrir de grands avantages, a souligné M. Dumas, et permettre à certaines populations d’obtenir des services qui leur seraient autrement inaccessibles. Mais les exemples de situations où une communication virtuelle moins optimale pourrait être problématique sont nombreux. On peut ainsi se demander si une psychothérapie en ligne est aussi efficace qu’en personne, a-t-il souligné.

Il en va de même pour l’enseignement à distance. Dans une étude publiée en 2021, des étudiants universitaires de premier cycle avaient jugé que l’apprentissage à distance oscillait entre «quelque peu difficile» et «extrêmement difficile».