La chorégraphie bien rodée d’une cellule de crise en temps de tragédie

MONTRÉAL — Dans les pires moments, lorsque le monde semble s’effondrer le temps d’un instant, des dizaines de personnes s’activent dans l’ombre. Les secours d’abord: policiers, ambulanciers, pompiers, mais aussi les premiers répondants de l’âme, ces fameuses «cellules de crise» dont le travail est essentiel.

Lors de chaque sinistre de grande ampleur ou de chaque tragédie majeure, comme celle vécue à Laval dans la dernière semaine, la première chose que l’on annonce est la mise en place d’une «cellule de crise» pour offrir du soutien aux gens affectés. Ce que cela signifie concrètement, c’est qu’une véritable opération d’intervention psychosociale a été déclenchée.

Peu importe où l’on se trouve au Québec, si le malheur frappe, c’est le même scénario de départ qui se rejoue en trois actes bien précis. Une procédure conçue par Pierre-Paul Malenfant, aujourd’hui président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ).

De 2006 à 2018, il a occupé la fonction de conseiller et formateur national au volet psychosocial en contexte de sécurité civile et de mesures d’urgence pour le gouvernement du Québec. Avec son équipe, c’est lui qui a créé le modèle québécois d’intervention. 

Sonner l’alerte

Revenons un peu en arrière un moment pour comprendre la mécanique derrière le déclenchement de l’opération psychosociale. Quand un drame survient, les premiers témoins vont appeler le 9-1-1. Policiers, pompiers et paramédicaux sont alors informés et dépêchés sur place.

Comme les paramédicaux sont des acteurs du milieu de la santé, l’hôpital à proximité de l’événement est informé et si la situation est jugée majeure, il sera mis en code orange, explique M. Malenfant. Ce code orange signifie que plusieurs blessés potentiels pourraient être amenés d’urgence.

En déclenchant ce code orange, l’équipe d’intervention psychosociale est alertée à son tour. Dans chaque centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS), une personne assure la garde et mobilise ses collègues.

Les premières 24 heures

Dès que l’alerte est donnée, des dizaines de psychologues, travailleurs sociaux, psychoéducateurs ou autres spécialistes vont alors tout lâcher pour se coordonner autour de la tragédie.

Il s’agit de la première phase, soit celle de l’intervention immédiate, où l’on gère l’incertitude et où les gestionnaires vont évaluer la situation pour adapter leur réaction en fonction du guide de planification existant.

Certains intervenants se rendent sur les lieux, dans l’incertitude de ce qu’ils vont observer et bien sûr sans se mettre en danger. Comme le décrit Pierre-Paul Malenfant, il faut avoir une perception réaliste de ce qui se passe et de l’état dans lequel sont les gens.

«On commence immédiatement à faire des interventions, mentionne celui qui est lui-même travailleur social. On s’assure que les gens sont en sécurité. On s’assure que les enfants sont en contact avec des adultes significatifs, avec de la famille.»

Rapidement, on cherche à regrouper les gens. Dans le cas de la tragédie survenue à Laval cette semaine, on a ciblé une école à proximité. Sur place, des intervenants accueillent ceux que l’on surnomme «les primaires».

«On identifie les gens. On veut des noms», insiste M. Malenfant. Cette étape est cruciale, parce que plus le degré d’exposition est près de l’événement, «plus il faut surveiller et soutenir ces gens-là parce qu’ils peuvent développer des problèmes d’adaptation», prévient-il.

D’autres gens sont ensuite identifiés parmi «les secondaires». On parle des équipes de secours qui sont venues en aide aux victimes ou de voisins qui ont donné un coup de main. On s’assure alors de les mettre en sécurité ou d’appeler des proches au besoin.

Afin d’intercepter les proches catastrophés qui vont se précipiter aux urgences, des intervenants sont aussi envoyés à l’hôpital pour les accueillir. On cherche alors à assurer leur sécurité, leur confort et à les informer de ce qui se passe.

24 à 72 heures

Un premier post-mortem à la fin de l’intervention immédiate permet de préciser les besoins, puis d’attribuer des tâches aux intervenants qui vont poursuivre le travail. On désigne qui sera en charge des enfants, des parents, des premiers répondants, etc.

Dans cette étape transitoire, une fois qu’un certain calme revient, on procède à des interventions ciblées auprès des personnes identifiées lors du triage. On fera alors du travail individuel ou familial. Des activités de groupe peuvent aussi être coordonnées pour donner de l’information psychosociale aux gens.

On distribue alors des fiches d’information psychosociales adaptées à chaque rôle, que ce soit une victime, une personne endeuillée ou un premier répondant. Ces six fiches ont aussi été conçues par Pierre-Paul Malenfant et elles ont été utilisées pour la première fois lors du déraillement de train à Lac-Mégantic, en juillet 2013.

Les documents de quelques pages visent à vulgariser ce qu’ils ont vécu psychologiquement et physiologiquement. Des pistes de réflexion, des conseils et des ressources d’aide apparaissent aussi sur les fiches.

L’après

Quand la poussière retombe et que les caméras ont quitté les lieux, les sinistrés et les endeuillés restent sur place. Leur douleur est toujours vive et il faut maintenant prendre le temps de guérir. On parle de la phase du rétablissement.

«C’est tout un défi, reconnaît l’expert. Et ça peut durer longtemps.»

Pierre-Paul Malenfant parle en connaissance de cause. À la suite de l’incendie qui a fait 32 morts dans une résidence de personnes âgées à L’Isle-Verte en 2014, c’est lui qui a coordonné cette intervention. Il y a passé huit mois.

On offre alors de l’accompagnement aux gens de la communauté dans leur processus de deuil. On cherche aussi à repérer des signes de réactions post-traumatiques. C’est aussi à ce moment que les personnes prises en charge vont intégrer des programmes existants d’aide psychologique offerts dans leur région.

L’objectif est d’aider les gens dans leur processus d’adaptation à leur nouvelle situation.

La Dre Mélissa Généreux, qui était directrice régionale de la santé publique en Estrie au moment de la tragédie de Lac-Mégantic, a développé une expertise reconnue mondialement dans cette étape précise.

Sous son impulsion, le Québec a créé un réseau appelé les «Éclaireurs» dans toutes les régions. Leur travail consiste à rencontrer la population dans toutes sortes de circonstances, de manière informelle, pour s’assurer que la communauté dans l’ensemble se porte bien.

L’une des inquiétudes de la Dre Généreux est que l’on néglige l’ampleur de l’onde de choc.

«Le bassin de base des gens affectés est peut-être plus large que l’on pense», évoque-t-elle. La famille élargie, le voisinage, les parents ou le personnel des garderies avoisinantes ont pu être ébranlés.

Avec la médiatisation du drame, beaucoup de gens ont aussi pu en souffrir indirectement. Si c’est le cas, comme l’a dit le premier ministre François Legault, il faut savoir accepter l’aide qui nous est offerte.

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